The Zone of Interest
A24

Dix ans après Under the Skin, Glazer revient au cinéma (et en compétition pour la Palme d'or) avec un pesant objet arty sur Auschwitz.

Il nous avait déjà fait le coup avec Under The skin. Glazer avait pris d’énormes libertés par rapport au livre original de Michel Faber, repensant entièrement son personnage d’alien pour en faire une pure création cinématique. Il récidive ici avec le livre de Martin Amis, La Zone d’intérêt. Dans son roman, Amis décrivait le quotidien du camp d’Auschwitz à travers une farce outrancière qui laissait la solution finale complètement hors-champ. La vie du camp devenait un lupanar obscène et alternait trois points de vue différents. D’abord, celui de Paul Doll, commandant du camp, bouffon libidineux et "vieux pochetron" méthodique qui réceptionnait les convois de déportés sans se poser la moindre question et essayait surtout de sauver son couple. Face à lui, l’officier SS Golo Thomsen, plus libre mais tout aussi obsédé du cul (son évangile tient en trois mots: "Je rute, je rute, je rute"). Au début du livre, il décide de mettre la femme du commandant dans son lit et sa romance adultérine sous-tend les 250 pages du bouquin. Enfin, pour sonder encore plus fort l’impensable, l’écrivain britannique avait rajouté un troisième personnage, le "Sonder" Szmul, un Juif contraint d’assister les tortionnaires pour évacuer les cadavres des chambres à gaz.

Rien de tout cela dans le film, qui choisit de ne suivre que le quotidien du commandant et de sa femme, vivant heureux en ménage à l’ombre du camp. L’aspect pasolinien a complètement disparu, l’intrigue sentimentalo-comique et le drame existentiel du sonder également. Glazer se réapproprie totalement l'oeuvre pour en faire autre chose : tant mieux. Le problème est que sa nouvelle direction - celle du pur cinéma - ne produit rien. A travers des vignettes bucoliques (une famille au bord d’une rivière) ou parfaitement insignifiantes (des gros plans sur des fleurs) shootée à l’ombre d’un mur immense derrière lequel on aperçoit l’ombre des tours de garde du camp, à coup d’infrabasse tétanisante (Mica Levi à la BO, comme pour Under the Skin) et d’écrans noirs autoritaires, il interroge les frontières de l’humanité et veut réfléchir à la représentation du Mal. Pourtant jamais rien ne perturbe ce cadre arty, ce procédé de mise en scène ultra rigide qui ne fournit au fond pas grand-chose d'autre que du prêt-à-penser. Rien ne dépasse de cette application laborieuse des principes esthétiques et moraux. Au bout de cinq minutes, tout est exposé et rien ne changera. Le lourd grondement du camp qu'on entend en permanence, accompagnant les rites quotidiens maniaques de la parfaite petite famille nazie, est l'effet le plus voyant de cette mécanique martelée jusqu'à l'absurde (les cris des déportés sur les visions de fleurs et les abeilles, ces petites bêtes industrieuses...), la symbolique lourdingue (le nazi qui fume son cigare sur fond de cheminées qui crachent leurs cendres), parfois la gêne (on entend le conte d'Hansel et Gretel avec la sorcière "poussée dans le four" en voix off !), et souvent des banalités (le nazi amoureux des chevaux et des chiens, son épouse qui se plaint du manque de chauffage de la baraque à cent mètres des chambres à gaz). Glazer reste un filmeur impressionnant (les déambulations des personnages dans la baraque flippantes comme du Alan Clarke), mais sa puissance est complètement enfermée dans les murs de sa petite installation en béton armé.

Reste un film au titre génial -sans doute la principale raison pour laquelle Glazer a adapté le livre- et Christian Friedel, véritablement dément dans le rôle du commandant du camp. On l'avait déjà vu en prof dans Le Ruban blanc, qui semble être l'un des modèles du film de Glazer et qui avait gagné la Palme en 2009. Peut-être que le discours, tout aussi tétanisant et scolaire, de The Zone of Interest lui permettra de finir au palmarès.

Gaël Golhen et Sylvestre Picard

The Zone of Interest de Jonathan Glazer, avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Max Beck... Prochainement en salles.