La Vie d’après, de Olivier Lamour, Béatrice Valleys et Félix Stefanaggi
Olivier Lamour/ Morgane production

Alors que le documentaire La Vie d’après, qui l’a suivi après son départ de l’Elysée, est présenté au festival du film d’histoire de Pessac, l’ancien Président de la République a répondu aux questions de Première.

Après la Présidence, redevient-on un homme "normal" ? Et que devient son quotidien quand son agenda débordant de rendez-vous et de problèmes à solutionner dans l’urgence sous les ors de l’Elysée ressemble du jour au lendemain une page quasi blanche ? Voici quelques-unes des questions qui ont donné envie à la journaliste Béatrice Vallaeys de proposer à François Hollande de le suivre au quotidien en 2017 pour scruter et raconter cette fameuse Vie d’après qui donne son titre à ce documentaire co-signé par le réalisateur Olivier Lamour, collaborateur de longue date de l’émission culte Striptease.

Et alors que la plupart des documentaires consacrés aux hommes politiques parlent de conquête, celui-ci raconte, à rebours, la décélération et son corollaire, la stratégie indispensable pour ne pas sortir du jeu et continuer à faire vivre ses convictions (ici la social-démocratie) quand elles paraissent totalement démonétisées par la montée en puissance de partis plus radicaux que le vôtre (formidables scènes de confrontation sur les marchés avec des partisans LFI), et ce alors qu’aucun mandat ne vous invite à cette table-là.

Sans commentaire en voix-off mais ponctué d’échanges aussi savoureux que pertinents entre l’ancien Président et la journaliste dupe de rien et curieuse de tout, La Vie d’après trouve le ton juste en ces temps de dénigrement facile du politique, quel que soit son positionnement sur l’échiquier. A rebours donc encore et toujours car drôle et plein d’esprit mais jamais au détriment de ceux qu’ils filment – François Hollande comme les Français qu’il rencontre au fil de ses pérégrinations à travers le pays. Et ce avant qu’une tragédie ne vienne percuter ce tournage : la mort soudaine de Béatrice Vallaeys qui met fin à l’aventure en 2022. Les trois ans écoulés entre la fin du tournage et la découverte aujourd’hui de La Vie d'après permettent de faire de ce documentaire un document mais aussi forcément de trouver des résonnances avec la situation actuelle de l’Ancien Président redevenu député. A quelques heures de sa présentation ce samedi à Pessac, François Hollande nous a raconté la manière dont il a vécu cette aventure et la découverte du film terminé.

La Vie d’après, de Olivier Lamour, Béatrice Valleys et Félix Stefanaggi
Olivier Lamour/ Morgane production

Quels sont les documentaires politiques qui vous ont le plus marqué comme simple spectateur ?
Les grands documentaires politiques sont souvent liés aux campagnes électorales. Je pense évidemment à 1974, une partie de campagne, le film de Depardon sur Giscard, longtemps empêché d’être diffusé puis montré au cinéma. Mais si je remonte encore plus loin dans le temps, le premier qui m’avait marqué, c’est un film que j’avais découvert alors que j’étais lycéen : Aux urnes citoyens d’Edouard Brobowski où on suivait la campagne municipale qui opposait à Arras en 1971 le maire socialiste Guy Mollet et son adversaire principal, Francis Jacquemont le candidat UDR. Sans doute le premier film d’une campagne vécue de l’intérieur avec des confidences insolites et l’irruption du marketing politique. Je pourrais aussi citer les films de Serge Moati sur François Mitterrand, le Paris à tout prix d’Yves Jeuland qui avait aussi signé un film sur l’Elysée, Un temps de Président, pendant mon mandat.

Dans La Vie d’après, vous évoquez la trahison que vous avez pu ressentir face au duo Davet-Lhomme au moment de la publication d’Un Président ne devrait pas dire ça. Ce ne vous a pas fait hésiter à accepter la proposition qui vous a été faite de ce documentaire ?

Je fonctionne toujours sur le mode de la confiance. Aujourd’hui je ne suis plus dans l’exercice de la responsabilité donc ma parole n’a pas la même conséquence. Il est donc plus facile de suivre un ancien Président que d’interroger régulièrement un chef de l’Etat au fil de son mandat. Pour le film de Béatrice Vallaeys c’était d’autant plus intéressant que son travail s’inscrivait sur un temps long, sans même se fixer de limite de temps. Il n’y avait aucun secret à dévoiler, aucune image à cacher. Sur la durée, il pouvait être intéressant — parfois joyeux, parfois plus intrigant — de savoir ce que fait un ancien Président, comment il organise sa vie, ses déplacements, ce qu’il nourrit encore comme ambition politique. Et puis surgit l’impensable. Il se trouve que sur cette période, il y a eu une crise sanitaire, les Gilets jaunes, de nombreuses autres manifestations… L’équipe qui me suivait a pu capter mes réactions à chaud, alors qu’aujourd’hui, avec ce prisme, elles sont regardées avec la distance des sages.

Vous parvenez à oublier la caméra, les micros ? Ou il y a une retenue et donc une autocensure dans vos propos ?
Je me méfie moins des caméras que des micros. Il peut y avoir une interpellation d’un interlocuteur, une phrase maladroite, une plaisanterie déplacée. Mais j’ai accepté qu’il en soit ainsi durant une séance de signature de plusieurs heures de mon livre avec la liberté d’enregistrer l’ensemble des échanges. Pour restituer les rencontres que j’ai pu avoir et les paroles qui m’ont été adressées. Car ce film n’est pas sur moi : il est sur la relation d’un ancien Président et les Français. Tout ce qu’on ne peut pas voir avec un Président en exercice, parce que les conditions de sécurité et de déplacement rendent impossibles des échanges comme ceux qui sont repris dans le film et parce que le temps manque au quotidien pour engager un aussi long dialogue avec les citoyens.

La Vie d’après, de Olivier Lamour, Béatrice Valleys et Félix Stefanaggi
Laurent Fenart/ Morgane production

C’est aussi pour ça que vous acceptez ce documentaire ? Parce que ce n’est pas juste un portrait de François Hollande mais le portrait des Français…
Oui, c’est le portrait des Français, de ceux qui viennent vers moi, de ce qu’ils me disent, de ce qu’ils vivent. Et puis, c’est aussi un voyage dans la France : tantôt en Moselle, tantôt dans le Tarn, en Corrèze bien sûr, en Bretagne, dans le Nord… C’est un road‑movie, en quelque sorte…

Vous connaissiez Brigitte Valleys, la journaliste qui a initié ce documentaire, avant qu’elle vienne vous le proposer ?

Je la connaissais parce qu’elle avait en son temps eu une place importante dans la rédaction de Libération. Elle ne suivait pas la politique, mais les sujets de société notamment les questions de police et de justice. Je savais qu’elle était sans préjugés. C’est sa curiosité qui m’a convaincu d’accepter sa proposition. L’accord que nous avions passé, c’était que je la laissais filmer tout ce que je faisais et poser toutes les questions qu’elle souhaitait. Et son côté faussement innocent, qu’on voit au fil de nos échanges, fait qu’elle pose librement et effrontément des questions que beaucoup de ses confrères, qui suivent la politique au quotidien, n’imaginent pas formuler.

Qu’est ce qui vous a le plus surpris en découvrant le film terminé ?
J’ai trouvé le film à la fois cocasse car il y a des moments savoureux et grave, au regard de la situation internationale et notamment la guerre en Ukraine, qui surgit ; les manifestations contre la réforme des retraites ; les élections présidentielles ou nationales. On voit d’ailleurs dans le documentaire pourquoi une campagne marche ou ne marche pas. Le documentaire restitue assez bien cet écart entre la volonté des politiques et la réalité du terrain. J’aime aussi le temps long du film et son ton jamais cynique ou moqueur avec qui que ce soit. Respectueux à l’égard des personnes et des situations rencontrées. Ce film, c’est une histoire sans fin, celle de la politique, qu’on aurait pu être en train de tourner si Béatrice n’était pas partie. Car "ma vie d’après" continue. Mais tout s’est arrêté tragiquement puisque Brigitte est décédée brutalement. La production m’a demandé ce qu’elle pouvait et devait faire alors de ce document qui se termine sur la mort de celle qui en était devenue l’une des figures principales Et c’est précisément cette fin qui donne un sens à ce qui a été filmé, à ce qui a été enregistré.

La Vie d’après. De Olivier Lamour, Béatrice Valleys et Félix Stefanaggi… Durée : 1h31

A lire aussi sur Première