Frankenstein de Guillermo del Toro
Netflix

Revenu à la source littéraire de Mary Shelley, del Toro renoue également avec le niveau de spectaculaire de ses plus gros films. Le blockbuster fantastique peut-il encore avoir un petit cœur qui bat ?

L’homme et le monstre, le créateur et la créature, sa créature. Comme ceux de Tim Burton, plus ou moins tous les films de Guillermo del Toro sont des variations sur ce seul et même thème, des riffs sur une seule et même parabole. Où est l’humain dans tout ça, vers lequel doit nécessairement pencher la sympathie du réalisateur et celle du public ? 

Frankenstein, le roman gothique, le docteur et le monstre gentil qui porte leur nom, avec une particule soulignant sa noblesse (le monstre de Frankenstein), c’est non seulement le film que l’auteur de La Forme de l’eau a toujours rêvé de faire, mais celui qu’il a déjà fait, refait et re-refait, presque à chaque fois depuis ses débuts, de variantes en variations, d’essais en allusions. Avec son dernier Pinocchio, la piste s’était encore réchauffée et enfin, le voilà, le film monstre, le film Frankenstein,­ Frankenstein tout court.

On annonce un budget (monstre) de 120 millions, et chaque dollar est là, sur l’écran de votre télé(phone ou viseur). Surprise, le récit ne commence pas sur les hauteurs d’un petit village bavarois mais sur une banquise en arctique, avec un navire allemand pris dans la glace et un scientifique blessé qui raconte à l’équipage pourquoi le surhomme invincible qui vient de les attaquer l’a traqué jusqu’au bout de la terre. 

Guillermo del toro sur le tournage de Frankenstein
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Ce prologue est à la fois un retour aux origines littéraires du mythe (c’est ainsi que débute le roman de Mary Shelley) et une promesse qu’on va voir ce qu’on va voir : la version de Frankenstein la plus énorme jamais tournée, avec scènes d’action dantesques, déchaînement de violence graphique, souffle de cinéma d’aventure et une furia créative inarrêtable. Le lecteur peut y voir une bonne nouvelle mais il ferait aussi bien de se méfier. 

Le mythe de Frankenstein a certes ses recoins oubliés (notamment le récit en flash-back porté par deux narrateurs successifs, le créateur d’abord, avant la créature elle-même), mais sa thématique est connue, digérée, partie intégrante de l’inconscient collectif : un savant au bord de la folie se prend pour Dieu puis abandonne son "fils" à la haine des hommes, avant de réaliser qu’il est le plus humain d’entre tous. 

En haïku de 1h10 (la version 1931 avec Boris Karloff, adaptée d’une pièce de théâtre des années 1920 plutôt que du roman d’origine), tout était dit, pour l’éternité. En doublant le métrage et en décuplant les moyens, del Toro n’augmente ni les enjeux ni la dimension de la fable, il les surligne, les écrase, menace de les ensevelir sous le poids de la redondance et de son propre hubris.

Frankenstein de Guillermo del Toro
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Lui, l’homme qui a dédié son œuvre à être "du côté des monstres" se retrouve ici face à un constat paradoxal et quasi existentiel : le réalisateur hollywoodien surpuissant qu’il est devenu ne peut désormais s’identifier qu’au démiurge déformé par l’ambition, la fièvre, le grand angle et le surjeu (complice) d’Oscar Isaac. S’en rend-il tout à fait compte ? 

Les plus belles scènes (elles aussi retrouvées chez Shelley) ramènent la créature jouée par Jacob Elordi à l’état de nature en pleine forêt, tel un nouvel Adam naïf ou un enfant sauvage. Pendant une quinzaine de minutes, le cinéaste se montre enfin capable de laisser respirer son film, mettant en œuvre la morale et l’émotion de la fable plutôt que de les suffoquer de musique, d’action, de démence visuelle et de périphrase thématique. 

Le Frankenstein de del Toro a les défauts de ses qualités. Le monstre n’en est qu’une des nombreuses attractions et l’humain, un objectif lointain, qu’il ne parvient jamais tout à fait à atteindre.

De Guillermo del Toro. Avec Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth… Durée 2 h 35. Disponible le 7 novembre sur Netflix