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Nour Films

Ce premier long ukrainien met en scène la difficile reconstruction d’une femme soldat kidnappée et violée par des militaires russes. Rencontre avec son réalisateur.

Butterfly vision est votre premier long métrage de fiction, après plusieurs documentaires. Qu’est- ce que vous avait donné envie de devenir réalisateur ?

Maksym Nakonechnyi: C’est né, petit à petit, adolescent des films que j’ai vus en grandissant à Odessa. A commencer par le cinéma de Sergeï Paradjanov et tout particulièrement son Sayat- Nova, récit en huit chapitres de la vie de ce poète arménien. Puis j’ai eu la chance de rencontre des mentors qui m’ont accompagné et ouvert la voie. Jusqu’à ce que faire des films devienne pour moi quelque chose d’indispensable à ma vie. Réaliser n’a jamais été un rêve d’enfant mais c’est devenu la réalité dans laquelle je ne pouvais qu’évoluer

Butterfly vision met en scène une militaire ukrainienne, spécialiste en renaissance ukrainienne, de retour, enceinte, auprès des siens après plusieurs mois passés en prison dans le Donbass, où elle été violée par des soldats russes. Comment est née l’idée de ce film ?

Pendant le montage d’un documentaire sur des femmes soldats combattant sur le front, six portraits entremêlés, dont l’un filmé par Iryna Tsilyk, la réalisatrice de The Earth is blue as an orange qui deviendra ma- co- scénariste sur Butterfly vision. Cette jeune militaire racontait que la chose la plus effrayante qu’elle avait vécu, c’était la captivité. Et j’ai eu envie qu’on développe une fiction autour de ce sujet car ce qu’on vit dans cette situation- là ne s’arrête pas au moment où on est libéré. Les dommages collatéraux physiques comme psychologiques vous hantent longtemps après et impactent vos proches

Vous aviez dès le départ l’idée que cette femme tomberait enceinte d’un viol ?

Oui. On a essayé d’imaginer avec ma co- scénariste comment cette jeune femme allait pouvoir continuer à vivre à son retour parmi les siens et faire face au dilemme de savoir si elle garde cet enfant ou non. Pour cela, on est allé rencontrer plusieurs femmes soldats qui ont vécu ce traumatisme en captivité. En sachant qu’entre le moment où on a écrit et ce qui se passe aujourd’hui, ce phénomène a explosé.

Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet par le prisme de fiction et non du documentaire, comme à votre habitude ?

Parce que je sentais que la fiction allait me permettre de mieux expliquer ces choses à un public plus vaste.

Il y a forcément une responsabilité à raconter cette histoire mais on ne vous sent jamais contraint par elle. Comment y êtes- vous parvenu ?

Cette responsabilité existe dès le premier mot couché sur le scénario. Mais elle doit vous accompagner, pas vous bloquer. Je vous donne un exemple précis. Lors du début de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, certaines scènes que nous étions en train de monter changeaient soudain de nature. Comme s’il y avait dans ces images une prédiction que quelque chose de plus gros et encore plus grave allait arriver. Alors j’ai choisi d’appliquer cette approche au film dans son entier pour faire comprendre que tout ce qu’on voit à l’écran, nous, Ukrainiens, allions le vivre à une échelle infiniment plus grande. C’est là que ma responsabilité se situe. D’être à la fois conscient et sincère. Même si je ne sais toujours pas aujourd’hui si j’ai pris les bonnes décisions. En tout cas, une fois qu’on a pris la décision de traiter de ce sujet, personne n’a avancé avec le frein à main. On est allé au bout de nos idées, sans autocensure

Comment avez- vous déniché Rita Burkovska, exceptionnelle dans le rôle principal, Lilia ?

J’ai rencontré quelques comédiennes dont j’apprécie le travail mais plus dans une idée d’échange que dans celle d’un casting « classique ». Et quand Rita est apparue, ce fut une évidence. J’ai tout de suite vu et su qu’elle n’allait pas jouer Lilia mais la faire sienne. Et c’est exactement ce que je recherchais. Je ne fais pas partie des réalisateurs qui veulent qu’on respecte à la virgule près ce qui est écrit dans un scénario. Et encore plus dans le cas de Lilia. Avant le tournage, j’avais fait lire Butterfly vision à pas mal de personnes différentes et chacun avait son idée sur la manière dont Lilia devait agir à son retour de captivité. Leurs réactions m’ont incité à ne pas imposer la mienne à Rita. Car on est au cœur de ce que raconte Butterfly vision : comment chacun veut déposséder une femme de son libre arbitre mais aussi et surtout comment elle ira au bout de ce qu’elle a décidé, en dépit de tous les obstacles.

Vous continuez à réaliser aujourd’hui malgré la guerre ?

Oui, avec des amis, on filme des documentaires sans savoir si on les regroupera en un seul film ou s’ils constitueront un cycle. J’ai aussi envie de développer des fictions. J’ai même une idée précise de comédie. Evidemment que la réalité percute tout cela. Est- ce vraiment le moment de me lancer dans une comédie ? Mais on sait que les comédiens ont existé dans toutes les époques, y compris les plus horribles, et ont eu une importance majeure à la fois pour ceux qui les regardaient à ce moment- là que pour transmettre plus tard et témoigner par un autre prisme d’une époque. Mais forcément, même si sur le papier, le sujet n’est pas la guerre, la guerre viendra l’impacter. J’ai aussi envie d’adapter une pièce ukrainienne, Cassandre, qui s’empare de la Guerre de Troie mais à travers la perspective de cette prophète, fille du Roi de Troie, qui annonce les tragédies à venir mais que personne ne croit. Ca me paraît intéressant et symbolique de m’en emparer à l’aune de ce qui se passe aujourd’hui dans mon pays.