Heat 2 montage
Warner Bros./HarperCollins

En attendant de voir peut-être le film se concrétiser un jour, il faut lire le premier roman de Michael Mann, suite directe de son thriller culte. Dévorant.

En septembre dernier, Michael Mann, alors en plein tournage de Ferrari, nous accordait une interview par visioconférence. Il évoquait notamment la récente sortie aux Etats-Unis de son premier roman, Heat 2, suite littéraire de son thriller culte de 1995 à jamais hanté par son face-à-face historique entre Robert de Niro et Al Pacino. "Je l’ai [son roman] pensé comme un long-métrage avec quatre intrigues principales très fortes, au sein desquelles se multiplient des centaines de péripéties… Au final, j’ai l’impression de regarder un film au microscope, de voir des détails invisibles à l’œil nu."

Heat 2, enfin traduit en français, permet aujourd’hui de mesurer cette ampleur narrative. Ce roman policier de 700 pages a été co-écrit avec une autrice aguerrie, Meg Gardiner (Enragés, Souvenirs de sang…), qui a aussi le mérite de connaître parfaitement les rouages de la justice américaine pour avoir été d’abord avocate.

Heat 2 se précise et on sait pour quel rôle Adam Driver est en lice

Démiurge satanique

Heat 2 débute logiquement là où le film Heat s’achevait, à L.A en 1995. Le flic Vincent Hanna (Pacino) vient de tuer le truand Neil McCauley (de Niro), cerveau du braquage au fourgon blindé qui a électrisé Los Angeles, mais a laissé s’échapper l’un de ses bras droit, Chris Shiherlis (Val Kilmer). Ce dernier, selon le précepte de son mentor ("être prêt à tout laisser derrière soi en trente secondes"), est exfiltré manu-militari des Etats-Unis, loin de sa femme et de son fils.

Le récit fait ensuite une longue embardée sept ans avant les faits, en 1988, et suit en parallèle la trajectoire des futurs protagonistes. L’intrigue se déplace aussi physiquement, puisque l’essentiel se passe dans la ville natale de Michael Mann, Chicago. McCauley déjà associé à Shiherlis, effectue avec une minutie chirurgicale le casse d’une banque, tandis qu’Hanna traque, une bande spécialisée dans des homejacking particulièrement sanglants. C’est l’occasion d’introduire ici l’un des plus gros psychopathes de l’œuvre de Mann, lui qui a pourtant réalisé Le Sixième sens, première apparition sur grand écran d’Hannibal Lecter.

Le monstre en question, Otis Wardell, catalyse toutes les énergies du roman et par sa nature même de démiurge satanique, devient le réceptacle de la violence. En prenant seul en charge le mal, il dédouane les autres protagonistes du poids supposé de leurs fautes. L’irrationnel - donc le dérèglement mental - offre une image dégénérée de l’âme humaine, celle justement que les  héros - flics ou voyous - refusent de voir. La partie dans le désert américain à la frontière mexicaine, est en cela, un sommet d’intensité dramatique. Wardell est enfin, le point de suture d’un récit bientôt éclaté aux quatre coins du globe : Etats-Unis, Mexique, Paraguay, Singapour…

Heat
Warner Bros.

Morceaux d’anthologie

Tel qu’annoncé dans le sous-titre du livre, 1988 – 2000, la dernière partie nous entraîne à l’aube du nouveau millénaire. Un saut temporel qui permet à Mann de questionner l’immatérialité d’un monde nouveau désormais assujettie à la virtualité d’internet. Les entrailles du Dark Web et ses ramifications infinies sont les territoires à conquérir. C’était d’ailleurs l’un des sujets de son dernier film en date, le mal aimé Hacker (2015).

Heat 2 possède des morceaux d’anthologie (un final dantesque sur une autoroute encombrée) qu’on ne peut s’empêcher à la lecture de visualiser cinématographiquement. On reconnait bien-sûr les thèmes chers de Michael Mann, à commencer par cette obsession de la perfection et de la précision, elles seules capables de maintenir un semblant d'ordre au milieu du chaos de l’existence. Dès lors, tout héros qui succombe aux sentiments, par nature insaisissables, semblent promis à une mort certaine (cf. Le Solitaire, Miami Vice…) Il y a aussi ces échappées, ces respirations, où le temps semble suspendre son vol, mettant les sens au défi : "Passé les lumières de la petite ville, il éteint ses phares. La nuit l’enveloppe. Il conduit à l’aveugle (…) Il navigue à l’oreille."

Pour Michael Mann Heat 2 doit sortir au cinéma

Une façon de rappeler que le cinéma de Mann aime à plonger dans les ténèbres pour mieux charger notre réel d’obscurité. Le livre débute ainsi : "Des lumières de nuit s’immiscent entre les lames des stores : les néons du centre commercial coréen du coin de la rue clignotant en rose et bleu." Et d’emblée, le lecteur est plongé dans l’atmosphère ouatée d’un monde dont la surface numérique agit en trompe-l’œil. Si certains ont pu reprocher au cinéaste une certaine sécheresse dans sa façon de traiter la psychologie de ses protagonistes, la littérature lui offre la possibilité d’entrer en détail dans leurs psychés. "Les acteurs qui joueront dans l’adaptation auront une matière exceptionnelle pour travailler leur personnage…", nous avouait-il en septembre dernier.

Plus les jours passent et plus les chances de voir Heat 2 devenir un jour un film grossissent. La Warner est sur les rangs et les rumeurs liées au casting s'emballent : Al Pacino reprendrait son rôle (improbable!) et aussi: Timothée Chalamet, Adam Driver, Ana de Armas et Austin Butler. En attendant, faites vous le film en le lisant. C’est addictif.

Heat 2 de Michael Mann et Meg Gardiner. Harper Collins Noir.