-
Le cinéma prend tellement au sérieux l’hypothèse de son imminente disparition qu’il enchaîne ces jours-ci les célébrations de son passé glorieux. Une tendance un chouïa déprimante, mais qui produit des films passionnants, de Babylon à The Fabelmans. Avec Empire of Light, Sam Mendes vient ajouter sa pierre à l’édifice. Après les grosses machineries 007 et 1917, c’est un retour pour lui à une veine plus feutrée, proche des Noces rebelles : le film est d’abord la peinture d’une solitude, celle d’Hilary (Olivia Colman), souffrant de maladie mentale, étouffant dans la grisaille d’une cité balnéaire anglaise, au début des 80s. Elle travaille à l’Empire, le grand cinéma face à la mer. La mise en place du film est assez séduisante, de son atmosphère de workplace comedy, avec ses employés pittoresques et son patron détestable (Colin Firth à contre-emploi), à l’extraordinaire décor, ce palace Art déco fantomatique, dont l’architecture fait écho au désarroi existentiel des personnages. Mais il y a aussi ici quelque chose de trop fabriqué, une artificialité qui va vite torpiller le film, plombé par son intrigue à laquelle on ne croit jamais (Hilary tombe amoureuse d’un jeune collègue noir, sur fond de montée du racisme dans l’Angleterre de Thatcher) et des considérations lénifiantes sur la façon dont l’art peut panser nos plaies. A l’inverse du Chazelle de Babylon, qui, à partir d’une réflexion sur la dimension morbide du cinéma, a tiré une œuvre électrisante, Mendes veut nous dire que le cinéma peut nous réconcilier avec la vie, mais le fait dans une forme muséale et endormie.