L'Arme fatale raconte plusieurs histoires. C'est aussi bien l'histoire de Shane Black, que celle de Mel Gibson qui devient enfin américain, que de celle de la création d'un des plus célèbres duos du cinéma, que de la prise de pouvoir du producteur Joel Silver sur Hollywood pour un temps. Commençons par le scénariste. A peine sorti de l'université (la fameuse UCLA d'où est issu George Lucas), le jeune Shane Black veut devenir célèbre. Avec son pote Fred Dekker, ils écrivent des scripts dont le film d'action/horreur Shadow Company -l'histoire d'une bande de vétérans du Vietnam zombies. Retenu par Universal, Shadow Company a failli être produit par Walter Hill et réalisé par John Carpenter mais le film ne se fit jamais. Qu'importe, Black écrit en six semaines Lethal Weapon, l'histoire de deux flics que tout oppose forcés d'être partenaire. Black s'inspire d'un scénario de Walter Hill pour la série Dog and Cat (1977), sur la team improbable formée par deux policiers joués par Kim Basinger et Lou Antonio. Dog and Cat n'a duré que six épisodes mais a marqué Black. L'agent de Black parvient à vendre Lethal Weapon au producteur Joel Silver, qui, ravi, flaire dans cette histoire tout ce qui a fait le carton en 1982 de 48 heures avec Nick Nolte et Eddie Murphy. Le buddy movie, le flic blanc et le flic noir, le machisme, l'action, le polar hard boiled, l'humour, etc. Lethal Weapon est taillé pour le studio Silver Pictures qui vient de sortir Commando (1985) avec Schwarzie. Silver flingue dès le départ les idées trop tordues de Shane (la scène où un camion plein de coke explose devant les lettres géantes d'Hollywood passe à l'as) et mettre le paquet sur les vannes au détriment de la violence. Black glisse dans le film un clin d'oeil à son script non réalisé : la bande de mercenaires de L'Arme fatale s'appelle la Shadow Company.
Leonard Nimoy (oui, le Spock de Star Trek) devait le réaliser mais il était occupé à faire Trois hommes et un bébé), c'est Richard Donner qui réussit sur les conseils de la directrice de casting Marion Dougherty à trouver le duo idéal pour incarner Riggs et Murtaugh : Mel Gibson et Danny Glover, Mad Max et le Mister Johnson de La Couleur pourpre de Spielberg. Donner convoque les deux acteurs chez lui pour une lecture du script et deux heures plus tard, c'était plié. L'alchimie entre les deux acteurs est totale et Riggs et Murtaugh, récitant les futurs one-liners légendaires de Black (too old for this shit) prennent vie devant les yeux de Donner.
Tourné mi-1986 pour une somme dérisoire (15 millions de dollars de l'époque), L'Arme fatale sort en 1987 et rapporte 65,2 millions sur le sol américain. Soit le plus gros hit du studio Warner de l'année. Pendant que Trois hommes et un bébé -tiens donc- est le plus gros carton de l'année avec 167,7 millions, suivi d'Attraction fatale (156,6 millions) et Le Flic de Beverly Hills 2 (153,6 millions). La même année 87, Shane Black joue dans Predator (autre production Joel Silver) et rempile pour écrire L'Arme fatale 2, déjà annoncé pour déconner à la dernière page du premier script sous le titre Bodycount. Dans lequel il tue Martin Riggs. Silver le vire, et Black devenu scénariste golden boy s'en va claquer son pognon en amorçant -déjà- sa chute dans l'enfer d'Hollywood. Mais avec l'Arme fatale, il avait créé son style : le character movie aux dialogues dingos situé à Noël -et avec une bonne dose d'action. De son côté, Silver peut enfin faire tourner Piège de cristal, autre actioner séminal des 80's, dont le titre en VO (Die Hard) a été trouvé par Shane Black. L'Arme fatale, avec son mélange de fun et d'action et son personnage de flic cool/violent, a ouvert la voie à Die Hard.
Rétrospectivement, il est facile de voir comment Riggs s'inscrit parfaitement dans la filmo Gibson (la folie, la tentation du suicide, le masochisme) mais en 1987 le rôle donne enfin à Mad Mel la dimension d'une star hollywoodienne. Malgré l'impact des deux Mad Max, ses précédents films avaient tous été des fours aux USA (Gallipoli, L'Année de tous les dangers, Le Bounty, La Rivière). Jusqu'à L'Arme fatale qui le transforme donc en icône et surtout en acteur enfin bankable aux yeux des studios. Gibson enchaîne avec un autre gros hit, Tequila Sunrise, puis L'Arme fatale 2, et c'est déjà les années 90 et la franchise connaîtra deux suites. Maintenant, nous sommes en 2015 et Silver -remercié en 2012 par Warner- est en train de fignoler The Nice Guys, le nouveau film de Shane Black, avec le duo Russell Crowe/Ryan Gosling en enquêteurs hard boiled dans le Hollywood des années 70. Ca vous rappelle quelque chose ? The Nice Guys est "une comédie d'action avec des gros mots, des nichons et des gens qui fument", promet Joel. "Les studios n'ont plus les couilles de produire ça." Comme avant. On n'est jamais trop vieux pour ces conneries.
Sylvestre Picard
Bande-annonce de L'Arme fatale :
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