Vous êtes le lien entre toutes les incarnations de Jack Ryan au cinéma. Ce qui fait de vous… Le parrain de la saga ? Le gardien du temple ?Je ne sais pas… Mais c’est une sacrée aventure : cinq longs métrages - tous réussis -, quatre acteurs, autant de réalisateurs différents qui ont chacun su apporter leur style à cette histoire sans jamais trahir le personnage imaginé par Tom Clancy…Auquel plusieurs comédiens ont donc donné vie. Quelles sont les particularités de chacun, selon vous ?Alec Baldwin n’était pas encore une star quand nous l’avions engagé pour jouer Jack Ryan dans À la poursuite d’Octobre rouge. Nous en avons eu une par la suite lorsque Sean Connery a rejoint le projet, et il a dominé le film, dans un sens. Alec, qui avait fait un excellent boulot, voulait se consacrer au théâtre après la sortie et n’a pas souhaité reprendre le rôle. Harrison Ford a amené une sensibilité différente à Jack Ryan dans Jeux de guerre et Danger immédiat, avec cette proximité de meilleur pote idéal doublée d’une autorité qui le rend aussi crédible lorsqu’il doit tenir tête au président des États-Unis. Ben Affleck, pour sa part, a su insuffler une énergie nouvelle au personnage, qu’il n’a malheureusement eu l’occasion d’interpréter qu’une seule fois.Qu’est ce qui différencie Chris Pine de ses prédécesseurs ?Chris apporte une modernité très séduisante au personnage. Il possède en même temps une vraie maturité dans son jeu. Le fait qu’il ait grandi dans une famille de comédiens y contribue sans doute beaucoup. Et ce n’est pas quelqu’un qui aborde ses rôles avec une mentalité de movie star. Il arrive hyper préparé, bosse comme un acharné et ne passe pas son temps à courir les fêtes hollywoodiennes. Je pense que ses parents y sont pour beaucoup.Aviez-vous envisagé d’autres noms pour The Ryan Initiative avant d’engager Chris Pine ?Ryan Gosling, un acteur que je trouve également formidable, était intéressé par le rôle mais avait dû renoncer pour des questions d’emploi du temps. J’admire son parcours, cette faculté qu’il a de toujours choisir des projets de qualité, qu’il s’agisse d’un film de studio ou d’un drame super indépendant. Il me rappelle Johnny Depp à ses débuts, avant qu’il ne tourne Pirates des Caraïbes.Chris Pine a explosé grâce à Star Trek… Le fait qu’il soit à la tête d’une autre saga ne vous a pas inquiété ?Pas du tout. Regardez Harrison Ford : il était la star d’un certain nombre de franchises avant d’incarner Jack Ryan, et ça n’a dérangé personne…The Ryan Initiative vous permet de retrouver Kevin Costner, dont vous aviez produit un des premiers films en 1987, Sens unique. A-t-il beaucoup changé en 27 ans ?À l’époque de Sens unique, il commençait tout juste à se faire un nom en tant que leading man. C’est d’ailleurs à ce moment que j’avais acquis les droits d’À la poursuite d’Octobre rouge, le roman de Tom Clancy, et j’ai passé un coup de fil à Kevin, qui était au Mexique en train de tourner. Je lui ai parlé de ce livre, avant de lui confier que je pensais à lui pour le rôle de Jack Ryan. Il m’a répondu qu’il n’aurait malheureusement pas le temps car il souhaitait se concentrer sur ce « petit western » qu’il était en train de développer. Le petit western en question, vous l’aurez deviné, était Danse avec les loups… Il a clairement fait le bon choix. (Rires.)Comment se sont passées vos retrouvailles après toutes ces années ?Lorsqu’il est arrivé pour discuter du rôle de Thomas Harper (le mentor de Jack Ryan, qui le recrute à la CIA), je l’ai accueilli en lui disant : « Ça va, il ne m’aura fallu que 22 ans pour t’avoir dans un Jack Ryan ! » Nous avions besoin d’un acteur de cette trempe pour incarner ce personnage, et on a eu la chance que Kevin, qui sortait en plus de l’énorme succès de Hatfields and McCoys à la télé, soit disponible. Il est assez têtu, ce qui nous a valu de longues conversations à propos de ses scènes, mais je pense qu’elles sont réussies à l’arrivée. Kevin est un acteur qui pose énormément de questions. Heureusement, Kenneth Branagh est un réalisateur qui a systématiquement les réponses.Le marché international est nettement plus ouvert aujourd’hui qu’en 2002, lorsqu’est sorti La Somme de toutes les peurs, la dernière aventure de Jack Ryan au cinéma. Est-ce que ça a un impact sur vos décisions créatives ?C’est un facteur, oui. Depuis 5 ou 6 ans, le marketing des films a totalement changé. Quand j’ai eu mon premier contrat chez Paramount en 1988, ils produisaient 25 films par an. Aujourd’hui, ils en font 10. À l’époque, un projet obtenait le feu vert, on partait le tourner, et on confiait ensuite le résultat au département marketing pour qu’ils le vendent au public. La différence majeure, c’est que le marketing est dorénavant la première étape. Ils regardent votre script, vont sur leur ordinateur, puis vous annoncent : « Ok, ce film peut rapporter 175 millions de dollars, donc il faut le tourner pour 75 millions. » Avant, entre 60 et 70% de vos entrées étaient réalisées en Amérique, et le reste à l’étranger – comme vous le savez, c’est devenu l’inverse. Et qu’est-ce qui s’exporte le mieux ? L’action. J’ai toujours considéré les Jack Ryan comme des « thrillers intellectuels », mais nous devions avoir au moins trois grosses séquences d’action dans celui-ci. J’espère qu’elles ne détournent pas le film du personnage, et que nous sommes parvenus à faire ce que j’appelle maintenant un « thriller d’action intellectuel. »Interview Mathieu CarratierThe Ryan Initiative de Kenneth Branagh, avec Chris Pine, Kevin Costner et Keira Knightley, en salles le 29 janvier