Le Tintin de Spielberg vu par les tintinophiles (partie 2) - Benoît Peeters a-t-il autant apprécié le film que François Schuiten ? Alors que Tintin et le secret de la Licorne est sorti hier, nous avons demandé à des tintinophiles éclairés ce qu'ils pensaient de l'adaptation de Spielberg. Après François Schuiten (lire son avis ici), place à Benoît Peeters l’auteur de Hergé, fils de Tintin (Flammarion) et de Lire Tintin, les bijoux ravis (Les Impressions Nouvelles) Par François GreletBenoît Peeters, en tant qu’exégète d’Hergé, qu’avez-vous préféré dans le Tintin de Spielberg ?La grande prouesse de Spielberg, c’est de s’être débarrassé de ce qui était littéral dans la bédé et de retrouver une partie de l’esprit de Tintin par des moyens tout à fait nouveaux. C’est l’intérêt d’avoir un Spielberg aux commandes et non pas un tâcheron qui aurait vainement tenter de recopier les albums. Je comprends mal ceux qui s’étonnent de ne pas retrouver tels quels le contenu et la forme des deux albums.C’est la prouesse technologique qui est au cœur de la réussite du film, donc ?Oui, c’est déterminant. Ici, on a l’impression que les années passées à attendre pour Spielberg, puisqu’il est s’intéresse à Tintin depuis 1982, lui ont permis de découvrir la technologie adéquate. Il s’est retrouvé avec un moyen d’expression qu’il ne pouvait même pas imaginer lorsqu’il a commencé à travailler sur Tintin. Il a fini par retrouver Hergé par un tout autre biais. La preuve c’est qu’il n’y a pas un seul plan fixe dans le film. Tout bouge tout le temps. En apparence, il a donc choisi une écriture opposée à celle de la bande dessinée. Hergé travaillait la composition de chaque case, l’équilibre des unités sur chaque planche. Ici c’est l’inverse, et pourtant à l’intérieur de ce magma en fusion on retrouve une bonne partie de l’âme d’Hergé. J’aime beaucoup le film, même si je dois avouer quelques réserves sur la deuxième partie…Ah ? De quel ordre ?Pour moi, il y a un effet d’agitation trop frénétique. Les scènes sont belles quand on les prend individuellement, mais l’effet d’ensemble de la ligne dramatique se perd un peu. Reste une première heure vraiment épatante.Ce n’est pas la première fois que j’entends dire ça. Mais on est bien d’accord que la bédé ne lésinait pas sur les scènes d’action monstrueuses, n’est-ce pas ?Oui, mais Hergé lui-même utilisait très peu le spectaculaire premier degré. C’est davantage le style de Blake et Mortimer de Jacobs. Chez Hergé, il y a toujours un caractère astucieux ou malicieux dans l’organisation de l’intrigue, une gestion plus économique des données narrative. Un peu comme chez Hitchcock. Chez Spielberg, on n’est pas dans ce registre. De manière schématique, je dirais que lorsque Spielberg puise une idée dans les albums pour la remettre à sa sauce il est très fort, mais quand il invente de toutes pièces, comme c’est plus le cas vers la fin, je suis moins convaincu par le résultat. Ça devient plus fabriqué, plus volontariste. C’est aussi le moment où le film est plus spielbergien. Perso, je trouve ça sublime…Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut surtout pas dire que c’est un film commercial ou opportuniste, quels que soient les enjeux industriels du projet. C’est le film d’un amoureux d’Hergé qui veut faire découvrir Tintin à un public qui le connaît encore trop peu. Quand Spielberg dit aujourd’hui qu’Hergé aurait aimé le film, il ne faut pas y avoir de l’arrogance. Ce qu’il veut dire par là, c’est qu’il l’a fait en pensant au regard d’Hergé et qu’il se soucie aujourd’hui, plus de 28 ans après sa mort, de savoir si Hergé aurait aimé son film. Cette sincérité me touche. Moi aussi je crois qu’Hergé aurait aimé le film, tout en disant qu’il était très différent de ses albums et de leur rythme.Reste le problême de Tintin, le personnage…Quel problème ?C’est Haddock la star du film, finalement, non ?C’est un problème qu’Hergé a rencontré dès qu’il a fait apparaître le capitaine Haddock dans la série, suivi peu après par Tournesol. Au début Tintin était seul avec Milou, il avait une vraie fantaisie. A mesure que les autres personnages sont venus peupler la « famille de papier », Tintin est devenu le fil conducteur de l’histoire. Mais ça ne me gêne ni dans les albums d’Hergé ni dans le film. Tintin est un vecteur de mouvement, d’énergie, de compétence. Il est celui qui permet à l’histoire d’avancer, alors qu’Haddock est porteur de doutes, de faiblesses, d’états d’âme. C’est comme ça que l’équilibre opère. D’ailleurs, Spielberg réussit en féminisant un peu son Tintin à faire oublier qu’il n’y pas de fille dans l’histoire. Il y a une espèce de grâce, de quelque chose de fragile chez ce Tintin. L’amitié avec Haddock est paternelle, filiale, et quelquefois para-amoureuse. C’est un vrai couple de cinéma.Ok, donc c’est un film crypto-gay…Non, cela reste en deçà de la sexualité, mais il y a une composante affective dans le film qui est très bien mise en scène… Bien sûr, c’est Tintin qui permet à Haddock de devenir un personnage à part entière, mais de son côté le capitaine contribue à humaniser Tintin, à lui faire accepter qu’il n’est pas infaillible.La manière dont est traité l’alcoolisme d’Haddock est assez étonnante aussi. Ce n’est jamais un simple gimmick rigolo. Ça tient plus de la mélancolie.L’alcoolisme du Haddock du film est moins violent que chez Hergé ; il n’y a pas les fantasmes meurtriers qui traversent Le Crabe aux pinces d’or. J’avais peur que Spielberg atténue la peinture brutale de l’alcoolisme, mais il en a quand même conservé l’essentiel, tout en rendant le personnage plus acceptable. Il faut dire aussi que chez Hergé, il fallait trois albums pour transformer Haddock en véritable compagnon de Tintin. Ici, les choses vont plus vite.Vous avez déjà vu le film deux fois… Qu’est-ce qui change d’une vision à l’autre?J’ai davantage profité des arrière-plans la seconde fois, alors que la première j’étais très concentré sur le récit, sur le lien avec les albums. Et j’ai pu mieux me rendre compte qu’il y avait un vrai sens du détail chez Spielberg, une vraie intelligence graphique, une façon de dissimuler brillamment des informations dans le cadre. La prochaine fois, je découvrirai la version française. Je suis très curieux d’entendre les voix. D’autant que le film s’adresse quand même en priorité aux jeunes spectateurs. Et puis, ça me permettra de ne plus entendre sans cesse parler de « Snowy » ou de « Thompson et Thompson ».Benoît Peeters est l’auteur de Hergé, fils de Tintin (Flammarion) et de Lire Tintin, les bijoux ravis (Les Impressions Nouvelles). Sous le titre « Nouvelles métamorphoses de Tintin » une rencontre aura lieu le 31 octobre à 19 h au Centre Pompidou (Grande salle, Forum -1) avec Benoît Peeters, Jean-Marie Apostolidès (professeur à Stanford, auteur de Les métamorphoses de Tintin et Dans la peau de Tintin), Pierre Sterckx (critique d'art, auteur de Tintin Schizo), Benoît Mouchart (directeur artistique du festival d'Angoulême, coauteur de Hergé, portrait intime) et Jaco Van Dormael (réalisateur de Toto le héros, Mr Nobody) qui avait eu le projet d'adapter Tintin au cinéma. La rencontre sera précédée, à 18h, de la projection de Moulinsart-Hollywood. Tintin et le cinéma, documentaire de 55' réalisé en 1995 par Wilbur Leguebe et Benoît Peeters. Entrée libre dans la limite des places disponibles.