Ce n’est pas votre premier Molière ?C’est même mon troisième ! Le premier fut Dom Juan ou le festin de pierre réalisé par Marcel Bluwal pour la télé. Puis Il y a eu George Dandin dans la mise en scène de Roger Planchon. Et j’ai joué dans Le Tartuffe monté merveilleusement par Planchon, en 1967 pour le Festival d’Avignon. Mais j’interprétais Damis, le fils d’Orgon, rôle tenu par Jacques Debary. Quant à Tartuffe, c’était Michel Auclair.Comment êtes-vous arrivé dans ce projet ?Je rêvais de jouer Orgon ! Une amie, Beata Nilska, avec qui j’ai joué dans A torts et à raisons et qui est aussi dans Le Tartuffe, m’a amené voir un spectacle mis en scène par Marion Bierry. Après la représentation, Beata nous présente. C’est alors que Marion me parle de son désir de monter Le Tartuffe. J’ai bondi en lui disant que si sa distribution n’était pas complète, j’étais volontaire pour interpréter Orgon. Je me suis replongé dans le personnage puis j’ai exposé ma vision à Marion. Celle-ci a dû la séduire puisque je suis là.Et pour vous, qui est Orgon ?Ce qui me plaît et m’attire chez lui, c’est que contrairement à Dandin ce n’est pas un cocu. Il est juste un homme trompé. C’est parce qu’il est en état de faiblesse qu’il se fait duper par tout le monde. C’est un notable, un ami du roi, c’est dit dans la pièce. C’est un homme qui se bagarre. Il est riche, entouré de jaloux, de quémandeurs, de lèche-culs. Tous ces gens-là le gênent. Sa faiblesse vient d’une blessure ?Tout à fait ! Dans les 1 962 vers qui composent la pièce, on apprend qu’il est veuf. Cela me semble très important. La principale fragilité d’Orgon vient de son veuvage. Il est seul avec sa mère et ses deux enfants. Sa mère est toujours vivante, ce qui n’est pas dans l’ordre des choses, et les enfants lui rappellent son épouse. J’imagine que la disparition de la mère de ses enfants est une blessure dont on ne se remet pas. Bouquet dit que c’est l’homme qui fait l’acteur. J’ai pris cette douleur en compte. Bien sûr, il s’est vite remarié avec une jeune femme mondaine. Et c’est parce qu’il est dans un état de fragilité qu’il est mûr pour tomber dans les pattes de Tartuffe.Comment est ce Tartuffe incarné par Patrick Chesnais ?C’est l’avis d’Orgon que je donne ! Ce Tartuffe, je le vois comme un anarchiste. Il n’est pas un roublard. Cet aspect-là me comble, parce que c’est nouveau. Tartuffe n’a rien à faire des gens qu’il escroque. Nous sommes au XVIIe siècle et pourtant il met les pieds sur la table. C’est un Tartuffe qui, dans le sens noble du terme, en fait des tonnes. Et moi, ça m’amuse. La saison dernière, vous avez tourné le spectacle en province. Quel a été l’accueil ?Formidable ! Il n’y a pas d’autre mot. Les gens étaient debout à la fin. C’est très courageux de la part de la production, du directeur du théâtre, de Marion Bierry et de toute la troupe de partir à l’aventure avec un classique comme Le Tartuffe, qui n’est pas la pièce la plus rigolote de Molière comme on le sait. En règle générale, Molière se joue dans une salle subventionnée. Donc, programmer ce spectacle dans un théâtre privé, le faire se confronter à des comédies, est un courage qui ne me déplaît pas. Et nous devons cette situation à Michel Bouquet, encore lui, qui est le premier à avoir présenté du Molière dans un privé.Quatre siècles après sa création, Tartuffe garde toute son actualité.Tant que ne cesseront pas les sectes, certains partis politiques… il y aura toujours des gens qui abuseront. Parce que le monde est ce qu’il est. Toutes les grandes pièces gardent ce lien au monde, c’est la qualité de Molière, de Shakespeare… En 1664, la pièce est jouée devant le roi et connaît un beau succès. Ensuite, elle est interdite par la Compagnie du Saint-Sacrement, des sectaires, auxquels la mère du roi, Anne d’Autriche, appartient. Après cinq ans d’interdiction, la pièce peut enfin être représentée. Et c’est de nouveau un triomphe. C’est une des œuvres de Molière les plus jouées au monde et au Français on compte plus de 3 500 représentations. Ce n’est pas pour rien ! Le Tartuffe au Théâtre de Paris
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