Le réalisateur Jesús Franco est décédé mardi 2 avril à Malaga : ainsi disparaît l’un des cinéastes les plus prolifiques de l’histoire, sans doute - le site de référence IMDb le crédite de 199 films sous les pseudonymes les plus divers (Jess Frank, Clifford Brown, Lulu Laverne…). Aperçus de la carrière délirante d’un cinéaste stakhanoviste du bis.La vie de JesúsNé à Madrid le 30 mai 1930, Franco fait des études de droit avant d’aller au cinéma, jouer du piano et écrire des polars sous le pseudonyme de David Khunne. Il voyage à Paris, en Belgique, dirige des clubs des jazz et retourne en Espagne pour devenir assistant réalisateur avant de tourner son premier long en 1959 : Tenemos 18 años, ou l’escapade de deux adolescentes. Sa carrière est lancée et elle ne s’arrêtera jamais, même s’il trouve son "style" en 1962 avec L’Horrible Docteur Orlof suivi du Sadique Baron Von Klaus, où Howard Vernon -qui deviendra son acteur fétiche- joue les rôles principaux (des scientifiques fous et obsédés), qui connaissent des succès relatifs. "Le sadisme, l’érotisme voyeur et la perversité maladive des personnages inquiètent en ce début des années soixante", écrit le spécialiste du cinéma de genre Jean-Pierre Putters du Franco première période. Ensuite, tout s’emballe. Franco tourne de tout, très vite, sans se soucier semble-t-il du résultat. La légende veut même que Franco ait été assistant réalisateur d’Orson Welles sur son Falstaff de 1965 (en tous cas, en 1992, l’Exposition universelle de Séville lui commande même un montage du fameux Don Quichotte inachevé de Welles). Il se marie en 1970 avec Soledad Miranda, la belle héroïne du cultissime Vampyros Lesbos (dont la musique sera pillée par Tarantino pour la BO de Jackie Brown), qui meurt dans un accident de voiture la même année. Franco vivra ensuite avec l’actrice Lina Romay, et l’épousera finalement en 2008. Romay devait mourir en 2012. La filmographie impossibleEn juin 2008, la Cinémathèque française rendait son dernier hommage à Jess Franco avec une rétrospective partielle justement intitulée "Fragments d’une filmographie impossible". Impossible, en effet, de faire une liste rigoureuse et cohérente de l’œuvre de Franco. Même si l’horreur, le fantastique et l’érotisme se taillent la part du lion. Des Fu Manchu, des Dracula avec Christopher Lee, un Jack l’éventreur avec Klaus Kinski, du sous-sous-James Bond (Agent 077 Opération Jamaïque) des adaptations de Sade (Les Infortunes de la vertu en 1968), de Lovecraft (Necronomicon en 1967), de l’érotisme péplum (Les Exploits érotiques de Maciste dans l’Atlantide alias Les Gloutonnes en 1973), d’innombrables Frankenstein (Les Horreurs de Frankenstein, Les Expériences érotiques de Frankenstein, Lady Frankenstein…), de l’érotisme et du porno bien sûr (La Partouze de minuit, La Fille au sexe brillant), du mash up (Dracula contre Frankenstein), de l’auto-recyclage (un tiers de Névrose est constitué de stock-shots de L’Horrible Docteur Orloff)… 199 films, produits à la chaîne à partir des 70’s par le studio français Eurociné puis par René Château, litanie hypnotique de titres oubliés, remontés, invisibles, perdus, mal réédités. La fièvre et l’insoucianceLors de l’hommage de 2008, Jean-François Rauger, programmateur de la Cinémathèque, rappelait justement l’amour que Franco portait au jazz, le réalisateur ayant ainsi conduit sa filmo comme sous l’effet d’une improvisation constante, abandonnant ses films avant même le montage, se souciant peu du résultat final et enchaînant immédiatement sur le projet suivant. Qu’importe si la qualité n’est pas au rendez-vous, Franco abusant des effets jetés au hasard (zooms, fondus, post-synchro hésitante) et surtout au gré des maigres budgets alloués. "C’est sa maladresse, ses tics, l’inconstance et jusqu’à l’invraisemblance de ses scénarios, qu’il signe souvent lui même, qui le font reconnaître de ses fans et surtout de ses nombreux détracteurs", résume Putters, qui lui reproche son manque de technique mais pas son enthousiasme. Cependant, "jamais réalisateur n’aura montré autant d’insouciance vis-à-vis de son œuvre, ni autant de fièvre à impressionner la pellicule." (in Ze Craignos Monsters, Vents d’Ouest, 1991). Le bruit et la fureurEn 2009, l’Espagne l’honore en lui remettant un Goya pour l’ensemble de sa carrière. Et il continue de tourner. Al Pereira Vs. Alligator Ladies, son dernier film qu’il avait terminé tant bien que mal un peu avant son décès (il est sorti le 22 mars en Espagne), se termine sur la fameuse phrase de Shakespeare (les dialogues des films de Franco sont souvent très pompeux) : "La vie est un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne veut rien dire." De fait, la place de Franco dans le cinéma de genre d’après-guerre semble assurée : ses films semblent avoir été faits pour être enterrés dans des tombeaux loin des filmographies classieuses, pour mieux être exhumés lors de soirées DVD ou festivals grindhouse, et autres cérémonies impies que Jesús Franco Manera aimait tant filmer.Sylvestre Picard
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Jesús Franco : décès de l’homme aux 199 films
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