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Le plus gros pari du nouveau film de Steven Spielberg : conquérir le public américain !Ce qui devait arriver arriva : Les Aventures de Tintin est un très grand succès au box-office européen. 55,8 millions de dollars en moins d’une semaine sur 19 territoires : un joli chiffre. Les analystes américains remarquent ainsi que le film a fait en France l'équivalent de 21,5 million s de dollars, ce qui représente un record d’ouverture pour un film qui n’est pas une franchise… Mais ces chiffres-là ne masquent pas le plus gros défi de Steven Spielberg : convaincre les Américains."Si jamais le film marche aux USA, les albums de Tintin seront enfin publiés correctement aux USA". C’est Spielberg qui a fait cette confidence à la presse lors de la première à Bruxelles du Secret de la Licorne. Un fantasme de tintinophile, qu’on peut aussi interpréter comme un vœu pieux de la part du réalisateur. Spielberg aurait effectivement bien besoin que Tintin soit enfin populaire dans son pays pour garantir le succès de sa trilogie. Ce qui est loin d’être le cas. Voici les 6 raisons pour lesquelles le succès de Tintin aux US est loin d’être garanti.Par Alex Masson.Tintin, cet inconnu En septembre 2008, Universal annonce la mise en chantier de Tintin. The Hollywood Reporter fait dans la pédagogie, décrivant le projet non pas comme une adaptation de l’œuvre d’Hergé mais comme "les aventures d’un jeune reporter Belge aidé par son fidèle chien". Si la BD est bien éditée outre-atlantique, on estime que les aventures du "jeune reporter Belge aidé par son fidèle chien" ne vendent que 100.000 exemplaires par an (sur les 250 millions d’albums vendus dans le monde à ce jour). Pas de quoi réunir suffisamment de lecteurs (donc de spectateurs potentiels) américains pour rentabiliser Les Aventures de Tintin, film dont le budget est estimé à 135 millions de $. Pire, si on examine le box-office US des adaptations de BD européennes, c’est une catastrophe : Astérix et Obélix contre César (1999) totalisait 1,64 million, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2001) 3,11 millions, Astérix aux Jeux olympiques (2008) n’est jamais sorti en salles, tout comme le Lucky Luke de James Huth (2009)… Autant dire que ce n’est pas l’argument massue pour le marché américain.Un héros plongé dans un contexte particulierSi les fans de Tintin louent la modernité des albums, comment nier qu’il est à jamais figé dans le temps ? Chaque album est rattaché à la période où il a été écrit, et de fait lié à ses topoi. Il faudrait donner des cours d’histoire européenne au public américain pour qu’ils puissent être resitués dans leur contexte. Et si les comic-books ont toujours su se mettre au goût du jour (avec les liftings, les reboots et autres nouvelles sérialisations), le phénomène est impossible avec Tintin puisqu’une clause testamentaire d’Hergé empêche que la BD soit reprise par de nouveaux auteurs.Un anti-blockbuster par excellenceIl y aura toujours des tintinophiles pour certifier les influences cinéphiles de la saga. On peut admettre qu’un album comme L’Affaire Tournesol ou Le sceptre d’Ottokar, ont quelques airs hitchcockiens (l’ambiance de complot et de paranoïa). Mais essayez d’imaginer un studio hollywoodien aujourd’hui donnant les commandes d’un blockbuster pour teenagers à Sir Alfred. On remarquera d’ailleurs à quel point le Tintin de Spielberg repose sur un rythme frénétique et des scènes d’actions qui ont plus à voir avec le cinéma de Michael Bay (la poursuite en side-car, le combat de grues) qu’avec Hergé. On peut du coup se poser légitimement la question du choix des albums choisis (le diptyque Le Secret de la licorne/ Le trésor de Rackham le rouge, plus une louche du Crabe aux pinces d’or) quand Vol 714 pour Sydney et son incursion dans la S.F auraient probablement plus parlé aux ados. A moins que Spielberg ait voulu surfer sur la vague d’un Pirates des caraïbesTintin, impolitiquement correctSi le personnage de Tintin est sur le papier très lisse, il à posé des soucis aux ligues de bonnes mœurs américaines bien avant d’être porté à l’écran : ses premières éditions américaines connurent quelques soucis. Dialogues du Capitaine Haddock censurés, interdiction de publication de Tintin au Congo (soupçonné de relents colonialistes), critiques de la vision du capitalisme dans Tintin en Amérique… Dans un pays étouffant sous la chape de plomb du politiquement correct, il suffirait qu’un journal américain rappelle qu'un procès sur le racisme potentiel de Tintin au Congo se tiendra en Belgique au printemps 2012, ou ressorte du placard les rumeurs d’antisémitisme qui courent au sujet d’Hergé (Le Soir, journal ou était employé Hergé, collaborait avec le régime nazi pendant l’occupation allemande de la Belgique…), pour que Tintin se retrouve au cœur d’une polémique que même Mel Gibson ne souhaiterait pas.Pas de performance pour la Performance capture. Au moment où Le Secret de la licorne a été mis en chantier, l’industrie hollywoodienne croyait encore au miracle de la performance capture. Entre temps, seul Avatar s’est avéré économiquement à la hauteur, les recettes en déclin des autres tentatives (Le drôle de Noël de Scrooge, Milo sur Mars) ont abouti à une sanction sans appel : l’arrêt des projets en performance capture chez l’un des plus gros studios, Disney, qui a même ordonné la fermeture d’ImageMovers, la structure de Robert Zemeckis dédiée à cette technique. Il reste donc à voir si les spectateurs du Secret de la licorne, ne vont pas continuer à faire la moue devant cette forme hybride entre dessin animé et film live. Sans compter la réticence actuelle du public américain pour débourser les quelques dollars supplémentaire demandés pour les projections en 3D (le cas récent de la ressortie du Roi Lion n’est qu’une inexplicable exception). Ne pas oublier non plus que la performance capture à le désavantage de rendre la promotion du film assez difficile, le public ne pouvant faire le lien entre les comédiens et les personnages.Sauvé par l’Europe ?Chose rare pour une grosse production américaine, l’Europe a le privilège de la sortie des Aventures de Tintin : le film ne sort aux USA que pour Noël, soit deux mois après la France. Si l’on sait depuis belle lurette que les blockbusters doivent leur rentabilité aux recettes effectuées en dehors des Etats-Unis, c’est la première fois qu’Hollywood sait que le succès d’un film va reposer quasi-intégralement sur sa carrière à l’étranger. Le film ne peut compter que sur la réputation et le nom de Spielberg pour le box-office américain, atout qui, au vu de la méconnaissance de Tintin dans son pays, et des enjeux économiques du film, pourrait ne pas être suffisant. En France, il semble que l’objectif (atteindre plus de 5 million s d’entrées) soit raisonnable. Avec un démarrage puisssant mercredi dernier (491 540 entrées) ce score est envisageable. Quoiqu’en démarrant plus fort, Harry Potter et les reliques de la mort 2ème partie n’a atteint "qu’à peine"  6,4 millions d’entrées (selon les derniers chiffres connus, datant de septembre dernier). Les signes sont un peu moins forts dans d’autres endroits, notamment … en Belgique ! Si Le Secret de la Licorne a marché dans sa patrie d’origine (510 000 dollars de recettes pour le premier jour d’exploitation), dans la partie flamande, le film s’est fait laminer par Code 37, extension pour le cinéma d’une série télé très populaire. Nul n’est donc prophète en son pays. Même pas Tintin. Une autre question reste en suspens : Le Secret de la Licorne sortant dans 43 pays, de l’Autriche à l’Ukraine, avant d’arriver sur les écrans américains, d’ici combien de temps sera-t-il piraté et trouvable sur le Net ?