Voici ce que Joe Dante écrivait en 1971 à propos des Diables : « Frénétique, littéralement incroyable, et à la limite de la démence, ce mélange de prêtres dépravés, d’exorcistes débauchés, de tortures joyeusement diaboliques et de nonnes masturbatrices qui se flagellent avec des massues, n’est évidemment pas pour tous les publics ».On ne saurait être plus explicite. Même à côté des autres films de l’époque (la même année sont sortis Les chiens de paille et Orange mécanique), Les Diables reste un film particulièrement choquant, en grande partie à cause de la nature sensible de son sujet.L’histoire est inspirée du procès en sorcellerie d’Urbain Grandier, curé de Loudun, au XVIIème siècle, durant le règne de Louis XIII. L’affaire a fait l’objet de plusieurs récits, dont un « roman documentaire » d’Aldous Huxley qui a tant enthousiasmé Ken Russell qu’il a écrit son scénario en à peine trois semaines. A l’époque Richelieu règne dans l’ombre et travaille à l’installation d’un ordre nouveau visant à restaurer le pouvoir central dans les villes. Comme à Loudun, une petite ville prospère du Poitou dont les remparts témoignent de l’indépendance. Là, le prêtre local, Urbain Grandier, dirige la résistance face au Roi. Agacé, Richelieu donne l’ordre de se débarrasser de ce notable rebelle et charismatique mais à qui le clergé reproche une vie sexuelle ostentatoire. A la même époque, le couvent des ursulines était en proie à une éruption d’hystérie collective. La mère supérieure avait demandé à Grandier de leur servir de confesseur, et en refusant, le prêtre s’est fait une ennemie mortelle. Les représentants de Richelieu ont toutes les cartes en main pour monter de toutes pièces un procès rendant Grandier responsable des désordres chez les nonnes. Avant de le condamner au bûcher pour sorcellerie, ils en ont profité pour le torturer.Ken Russell en a livré une version délirante et certainement pas respectueuse (Louis XIII est représenté comme un homosexuel décadent). Mais derrière les manifestations d’hystérie collective qu’il filme avec une frénésie débridée, il décrit minutieusement la prise de contrôle par les autorités des consciences individuelles et collectives et dénonce la perversion des idéaux religieux à des fins politiques. 40 ans après, le film n’a rien perdu de sa force.Le viol du Christ Russell l’a réalisé alors qu’il était au sommet de ses moyens artistiques et financiers : ses documentaires musicaux et ses premiers longs métrages lui avaient assuré une réputation prestigieuse ainsi que des résultats importants au box office, si bien que Warner lui avait alloué un budget confortable. Pour créer aux studios Pinewood le décor de la ville de Loudun (qu’il voulait représenter comme une ville nouvelle, pour ne pas dire moderne), Russell en a confié la conception au tout jeune Derek Jarman, dont le décor épuré et grandiose est très éloigné de la représentation habituelle des villes fortifiées. Russel s’est également entouré de la crème des comédiens de l’époque, qui ont profité du contexte débridé pour se lâcher sans retenue. C’est le cas de Vanessa Redgrave, effrayante dans le rôle de la mère supérieure frustrée et bossue qui rêve de s’envoyer le prêtre et en devient folle. La palme revient à Oliver Reed dans le rôle principal du prêtre accusé. Il est très digne, comme le rôle l’exige, et relativement sobre. Pour connaître le degré d’intensité avec lequel il devait jouer, Reed interrogeait du regard le cinéaste, qui lui répondait en brandissant 1, 2, ou 3 doigts.Classé XLorsqu’un premier montage du film a été montré au BBFC (British Board of Film Classification), des quantités de coupes ont été demandées. Elles concernaient évidemment la nudité, les images à caractère sexuel, mais aussi les lavements administrés à la mère supérieure pour l’exorciser, et les tortures infligées à Urbain Grandier. Elles ont fait l’objet de réductions importantes, tandis que la scène dite du « viol du Christ » a été intégralement supprimée, malgré l’insistance de Russell sur l’importance thématique de cette scène. Elle montre les nonnes déchaînées (et surtout dévêtues) s’attaquant à une statue du christ sous l’œil d’un curé surexcité. Elle devait coïncider avec une séquence où, au bord d’un lac, Urbain Grandier (qui militait contre le célibat des prêtres) célèbre son mariage avec la femme dont il est amoureux. Tout le sens du film était concentré dans cet épisode en montage alterné, qui amplifiait le contraste entre la dignité d’une cérémonie sereine et la barbarie des profanations organisées par les autorités.Une première version approuvée par Russell est sortie en Angleterre avec une classification X. Pour autant, cette version n’a pas été approuvée par Warner qui a exigé des coupes encore plus importantes en vue d’une sortie aux Etats-Unis, dépouillant le film d’une partie de sa force et surtout de sa signification. Par la suite, c’est la version américaine qui a été exploitée en vidéo en quantités limitées, jusqu’à ce que le film disparaisse quasiment du paysage. Il ressortait en de rares occasions, comme en 1997 au festival de Gerardmer, où Russell était invité.La résurrection d’un chef-d’œuvreAu début des années 2000, l’historien de cinéma Mark Kermode, qui considérait à juste titre Les Diables comme un chef d’œuvre en danger, a organisé la restauration d’une version proche de celle que Russell avait approuvée. Editée en DVD par le british Film Institute, c’est la version la plus complète actuellement disponible. Il y manque toujours la fameuse séquence dite du « viol du christ ». Par miracle, Kermode a pu mettre la main sur une bobine contenant la dite séquence, mais il n’a pas pu aller jusqu’à la réintégrer au montage qui figure sur le DVD. Néanmoins, au fil des nombreux suppléments, la séquence est montrée par fragments, laissant au spectateur sagace le loisir de la reconstituer mentalement.Le coffret du BFI, qui comporte deux DVD et un livret, n’existe qu’en édition britannique, sans sous-titres ni traductions, ce qui le limite aux anglophones.
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Les Diables, l'histoire d'un film maudit
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