C’est un mystère absolu. Une sorte de monolithe noir de la cinéphilie. Comment travaille Terrence Malick ? Considéré comme un illuminé, talentueux, certes, mais passablement cinglé, Malick est un cinéaste qu’on dit reclus, paranoïaque et à moitié fou. On raconte ses disparitions impromptues, ses excursions canadiennes à observer les oiseaux, son étude du bouddhisme qui le mène en Himalaya. On glose sur sa supposée phobie du téléphone. S’il est difficile de faire la part du vrai et du faux dans tout ce foutoir, le plus intrigant restent ses méthodes de travail : tournage longs et exigeants, coupe de stars au montage, improvisation incessante…Malick ne fait pas nécessairement ce qu’il a prévu, aime les accidents, mais sait très bien ce qu’il veut. Nestor Almendros, son chef-opérateur oscarisé pour Les moissons du ciel, disait de lui « Il ne permet à personne de faire quelque chose qu’il n’approuve pas ». Ainsi, sur Les moissons du ciel, Malick voulait Travolta et Genevieve Bujold. Peut-être parce qu’il a eu à la place Richard Gere et Brooke Adams, le cinéaste a très vite jeté son script et laissé les acteurs improviser. Au montage, il a beaucoup utilisé la voix off pour raconter l’histoire. Pour compliquer les choses, il a presque tout tourné à « l’heure magique », les quelques minutes où la lumière crépusculaire prend une teinte dorée. Pour La ligne rouge, pareil. Nick Nolte se souvient que Malick attendait l’heure magique pour finir certaines séquences commencées quelques jours plus tôt dans une lumière différente. En fin de compte, les acteurs n’arrivaient pas à jouer le rôle comme ils le souhaitaient. Le directeur de la photo (John Toll) n’arrivait pas à raccorder ses plans. Et Malick lui-même se retrouvait avec une scène qui ne correspondait pas à ce qu’il avait écrit. Si Malick tourne beaucoup, essaie beaucoup et jette beaucoup, il rattrape tout au montage. Au fond, ce n’est pas un psychopathe mais un artiste qui a banni le mot « compromis » de son dictionnaire personnel.C’est ce que laisse entendre ce making of passionnant de A la merveille. Vous ne verrez (évidemment) pas Terrence Malick dans cette vidéo, mais ses « stars » - Ben Affleck, Olga Kurylenko, Rachel McAdams, Javier Bardem – lèvent le voile sur la manière dont il procède. Outre la surprise et l'improvisation (« on ne sait jamais ce qui nous attend » ou « on a l’impression de ne pas savoir ce qu’on fait »), Malick donne surtout une longue liste de livres à lire à son cast. Des romans russes, de la philosophie (« Sachant qu'il l'avait traduit, j'ai lu Heidegger en pensant que ça m'aiderait à comprendre. J'avais tort » explique Ben Affleck) et de la poésie qui leur permet de rentrer dans une certaine ambiance. Plus que des personnages définis, plus que des indications précises sur le jeu, il privilégie les sensations, le feeling. Au fond, Malick est un grand pointilliste.A la Merveille sortira mercredi 6 mars en France