Hitchcock/Truffaut de Kent Jones est plus qu’un documentaire de cinéma : une conversation à tiroirs qui démythifie l’art de faire des films et d’en parler. Un vrai plaisir d’esthète, un divertissement pour tous.
Hitchcock/Truffaut, le film, est un drôle d’animal. Une idée sublime du cinéma comme base de ralliement et de discussion. Un documentaire sur le livre culte (Hitchcock /Truffaut ou Le Cinéma selon Alfred Hitchcock, 1967) qui se balade à la fois dans l’œuvre du cinéaste britannique et dans le making of du bouquin. Si tout ça a l’air de se mordre un peu la queue, c’est normal, et c’est évidemment voulu... En 1962, à la requête du jeune François Truffaut qui lui envoie une lettre élogieuse, Hitch, alors en plein montage des Oiseaux, accepte de se livrer à une série d’entretiens marathon autour de son œuvre. Chaque jour, pendant une semaine, le réalisateur des 39 Marches et celui des 400 Coups se réunissent dans un bureau des studios Universal, en présence d’une traductrice et d’un photographe. Le résultat de leurs sessions sortira trois ans plus tard en librairie et restaurera la grandeur de Hitchcock ; entertainer de masse, certes, mais artiste du siècle (Truffaut le lui avait promis dans sa lettre). Kent Jones a retrouvé les vingt-sept heures d’enregistrement audio et recompose, façon photo-montage, le déroulé de la rencontre, flinguant certaines légendes au passage (Non, Truffaut n’a pas plié Hitchcock à son discours) et donnant naissance à d’autres (Hitch vient-il de faire une blague porno sur le cigare ?).
Une leçon de cinéma
Les échanges de civilités franco-anglaises constituent déjà un film en soi. Mais si Hitchcock/Truffaut devait servir les mêmes intérêts que le livre, c’est-à-dire réhabiliter sir Alfred, il aurait plusieurs trains de retard. Dans le documentaire, on apprend que David Fincher a reçu l'ouvrage en cadeau de son papa quand il avait huit ans, que Wes Anderson a tellement compulsé son exemplaire que la reliure a sauté et que Martin Scorsese lisait le sien sur les marches de l’appartement de ses parents, à Little Italy... En invitant les plus grosses pointures d’aujourd’hui à la table des deux autres, Jones prolonge la conversation au XXIe siècle. L’œuvre hitchcockienne devient alors un relais d’identification fort par lequel transitent les obsessions et les constructions mentales de chacun. Anderson questionne la précision géométrique des scènes de foule chez Hitch. Scorsese identifie chaque contre-plongée des Oiseaux comme l’expression d’un jugement divin. Fincher, le plus éloquent, loue sa maîtrise de la compression (et de l’extension) du temps. Il se demande ce que donnerait Sueurs froides du point de vue de Madeleine, la mystérieuse blonde qui disparaît. Se rend-il compte qu’il parle de Gone Girl ? Sur le ton de la conversation de bistrot, Hitchcock/ Truffaut organise le monde du cinéma en un tout cohérent. Un documentaire cinéphile, au sens le moins pompeux (le plus fun) du terme. Le plus étonnant, au final, est qu’il ne sorte pas en salles.
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