Rencontre avec le game designer du premier jeu Medal of Honor en réalité virtuelle.
Il parle comme un gosse à qui on aurait offert le jouet dont il n’aurait jamais osé rêver. Game designer chez Respawn Entertainment, Peter Hirschmann s’essaie pour la première fois à la réalité virtuelle avec Above and Beyond, nouvelle déclinaison de la franchise Medal of Honor. Un jeu de tir à la première personne très prometteur, qui ressuscite une marque disparue depuis 2012, écrasée par les mastodontes Call of Duty et Battlefield. Avec un débit de mitraillette, Hirschmann nous raconte les origines et les ambitions de ce projet, prévu pour la fin de l’année sur les casques Oculus.
Depuis quand avez-vous envie de ressusciter Medal of Honor, et pourquoi avoir choisi la réalité virtuelle ?
La réalité virtuelle nous a choisis, pas l’inverse ! Beaucoup d’entre nous à Respawn Entertainment ont commencé à travailler avec le premier Medal of Honor [sorti en 1999 sur PlayStation, NDLR]. Et l’idée d’un retour de la franchise revenait régulièrement dans nos discussions à la pause café. On parlait d’un come-back avec la technologie et les outils d’aujourd’hui, où l’on mettrait tout ce qu’on a appris au cours des vingt dernières années. On était pas mal à beaucoup aimer la réalité virtuelle, et certains l’avaient adoptée dès ses débuts. Un peu chacun de notre côté, on a commencé à coucher des idées sur le papier. Il fallait surtout que ce Medal of Honor soit dans la continuité des autres, qu’on revienne aux racines : la Seconde Guerre mondiale, un ton réaliste, quelque chose d’authentique. D’humain. Au même moment, les gens de chez Oculus ont toqué à la porte. Ils savaient que si la technologie est incroyablement cool, elle ne vaut rien sans bonnes expériences VR. Ils étaient à la recherche d’un studio comme Respawn pour développer un vrai titre AAA [l’équivalent du blockbuster pour le jeu vidéo, NDLR]. Ça tombait plus que bien ! On leur a détaillé le budget, le nombre de personne qu’il faudrait pour développer un jeu en ne partant de rien… Ils étaient 100 % d’accord. Et puis, à partir de l’histoire qu’on commençait à mettre en place, on a pu imaginer le jeu en ayant à chaque instant en tête la réalité virtuelle, et tout ce qu’elle peut offrir en matière de gameplay.
La réalité virtuelle s’installe tout doucement dans les foyers et l’aspect nouveauté s’est dissipé. C’est une période un peu charnière pour le secteur : il faut des jeux pour vendre des casques de VR, et en même temps il n’y a pas forcément assez de gens équipés pour acheter ces jeux.
Je ne suis pas vraiment d’accord. Je crois qu’on commence à arriver à une masse suffisamment importante de personnes équipées en casques de réalité virtuelle. Et puis tout le monde se perfectionne. Pour avoir passé les trois dernières années à travailler dessus, je peux vous dire que l’industrie dans son semble a appris des choses sur la VR qu’on n’imaginait même pas il y a quelques années. On continue de chercher ce qui marche vraiment, d’imaginer d’autres façons de jouer adaptées au support, mais on a déjà beaucoup dégrossi. Et il y a eu une énorme évolution côté hardware, chez Oculus, Vive et les autres. Les joueurs qui possèdent déjà un casque s’éclatent. Il suffit de créer les expériences sur lesquelles les gens vont passer du temps. Pour Respawn, c’était une opportunité dingue : combien de fois dans une carrière on vous propose de développer un jeu totalement nouveau, pendant que vous êtes en train d’essayer de comprendre comment marchent certains aspects de la technologie ? C’est terrifiant et incroyablement excitant à la fois. Je crois que le contrôle de mouvements avec la réalité virtuelle est la meilleure chose qui soit jamais arrivée au FPS. C’est une révélation, le jour et la nuit par rapport à ce qu’on avait avant. Ça semble tout bête, mais la possibilité de physiquement se cacher derrière le décor, de pouvoir jeter un petit coup d’oeil pour voir ce que fait l’ennemi, c’est complètement fou. Évidemment, ça existait avant, mais quand tout ça passe par les mouvements naturels de votre corps, l’expérience n’a plus rien à voir. Il n’y a plus la distance qu’imposent normalement les boutons d’une manette. Dans Medal of Honor : Above and Beyond, on n’appuie sur rien pour recharger : on prend un chargeur avec ses mains et on le met simplement dans le fusil ! C’est un bond en avant considérable, l’impact sur le joueur est proprement stupéfiant. Dans l’environnement de la Seconde Guerre mondiale, c’est ce qui se rapproche le plus d’une machine à voyager dans le temps. Mais pour en revenir à votre question, une fois que quelqu’un a testé la réalité virtuelle avec une expérience à la hauteur, il comprend immédiatement son potentiel. Ce que j’espère, c’est que Medal of Honor : Above and Beyond - comme Half-Life : Alyx, qui est pour moi un pur chef-d’oeuvre - permettra d'enfin définir le niveau de qualité d’un jeu AAA en VR.
Qu’est-ce que vous avez appris sur le gameplay inhérent à la réalité virtuelle en travaillant sur le jeu ?
Il y a eu mille questions et interrogations. Je pense notamment à la façon dont joueur peut se déplacer dans l’environnement : ça nous a pris un temps fou avant de trouver la solution qui nous convenait. Tout ce qu’on prend pour acquis sur des plateformes classiques peut devenir un casse-tête en VR ! Mais le gros morceau a été de comprendre comment devaient fonctionner les armes. Chacune a ses spécificités et elles ne se manient pas toutes de la même façon. Mais comment faire en sorte que ça reste plaisant pour le joueur ? D’un pur point de vue de gameplay, comment allait-on gérer les armes qui se tiennent à deux mains ? Il fallait que ce soit intuitif, sinon ça ne pardonne pas. On a fini par se décider sur un principe « simple » : chaque arme peut être utilisée à une main, mais dès qu’on place sa seconde main, le tout se verrouille et on gagne immédiatement en stabilité et en précision. Très vite, il y a une sorte de mémoire musculaire qui se met en place, et bientôt vous vous prenez pour John Wick ! Mais ce genre de choses, on a dû l’apprendre sur le tas. Il n’y avait pas de guide, pas de directives à suivre. Chaque studio fait ce qui lui semble être le mieux. C’est ce qui est génial avec la VR : on en découvre tous les jours.
Vous évoquez John Wick. Il y a cette envie que le joueur se sente comme transporté dans un film ?
Non, non ! Le but est de vous faire ressentir ce qu’était la Seconde Guerre mondiale ! Dans un film, il y a du montage et vous ne décidez pas comment la caméra se déplace… Nous, on vise l’expérience viscérale. Tu te retrouves coincé face à une patrouille d’Allemands, il ne te reste que trois chargeurs dans ton Thompson, deux ou trois balles dans ton pistolet… Comment s’en sortir ? C’est cette tension qu’on veut faire ressentir au joueur. L’expérience telle qu’elle était, du moins aussi proche que possible. Ce Medal of Honor n’est pas un film interactif, très loin de là. C’est la Seconde Guerre mondiale interactive ! Ma définition d’une expérience cinématographique, c’est quand tous les éléments s’alignent parfaitement : la façon dont bouge la caméra, la performance de l’acteur, la musique, le décor, la lumière… Tout ça pour générer une réaction émotionnelle. Et on essaie de faire pareil dans ce jeu, de créer ces instants suspendus, mais avec d’autres outils. Il faut des enjeux, une urgence et qu’on ait l’impression de vivre le moment.
Une chance de voir le jeu débarquer sur PlayStation VR ?
Non, non mec ! Absolument pas ! La VR sur PC, il n’y a que ça de vrai !
Medal of Honor : Above and Beyond, sortie à la fin de l’année sur les casques Oculus Quest et Oculus Rift.
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