Poète, romancier, dramaturge, librettiste (pour Béla Bartók), il passe, comme son ami György Lukács, de l'idéalisme au marxisme, dont il est le premier en date des théoriciens du cinéma. En 1908, il publie une Esthétique de la mort et en 1909 des Fragments d'une philosophie de l'art ; en 1914, il se porte volontaire et fait la guerre comme caporal. Auteur de plusieurs films aujourd'hui perdus (Obistos, 1917 ; Sphinx, 1918), il participe en 1919 à la révolution hongroise. Condamné à mort après l'écrasement de la république des Conseils, sauvé au dernier moment, il se réfugie en Autriche. À Vienne, il reprend ses activités cinématographiques, qu'il poursuivra en Allemagne, où il s'installe en 1926. À Berlin, il se consacre au théâtre d'agit-prop, collabore avec Erwin Piscator et Max Reinhardt, prend une part active à l'implantation d'un cinéma prolétarien et d'avant-garde. Il est journaliste, critique, scénariste. Il adhère au parti communiste en 1931 et doit émigrer en URSS dès la prise de pouvoir par Hitler. De 1933 à 1945, il est professeur à l'Institut supérieur du cinéma de Moscou (VGIK). Il rentre en Hongrie en 1945, fonde et dirige l'Institut hongrois du cinéma. Il enseigne à Prague, Varsovie, Rome. En mars 1949, il reçoit le prix Kossuth. Depuis 1960, un studio expérimental de Budapest porte son nom.L'uvre théorique de Balázs n'est pas organisée en système. Elle est faite de l'examen méthodique de toutes les ressources virtuelles ou réelles, pressenties ou vérifiées du cinéma, illustré d'exemples chaque fois que possible. L'Homme visible (1924), premier ouvrage de l'auteur qui en récusera bientôt la dimension souvent utopique, devance étonnamment la pensée de McLuhan. Balázs dénonce notre civilisation de l'imprimé, de l'écrit et prophétise, rendue possible par le cinéma, une civilisation de l'image, du visible, qui redonnera son rôle social au langage du corps et de la physionomie, à la voix et à la formation tactile de la personnalité. Pour Balázs, le film est un art figuratif. Les trois moteurs fondamentaux de son langage visuel sont le cadrage et l'angle (« à travers l'angle de prise de vues, le regard devient jugement ou sentiment »), le gros plan (situé hors de l'espace, il suscite la microphysionomie et ses microdrames), et le montage (qui rythme le récit et la pensée du film). Ces trois principes valent pour le son comme pour la couleur, qui ne sont pas des compléments à l'image mais des faits centraux, non des perfectionnements réalistes mais des facteurs de transfiguration. Le cadrage les élabore, le gros plan les isole et les grandit, le montage les articule dans le synchronisme ou l'asynchronie. La caméra est créatrice, utilisée par un créateur qui guide l'il et les sens du spectateur. Poète autant que théoricien, Balázs a un sens très fort de la formule suggestive : « les oiseaux poètes » (le montage) ; « l'il flaire » ; « les images ne se conjuguent pas » (elles restent au présent) ; « le spectateur danse » (ses points de vue varient) ; « le son ne porte pas d'ombre » (non spatial, il peut être déporté). Balázs tient le cinéma pour un art de masse et il s'est toujours attaché à sa fonction politique et sociale : « Le cinéma, qui est l'art du voir, ne doit pas rester entre les mains de ceux qui ont beaucoup à cacher. »