Première
par Christophe Narbonne
Symbole de ce cinéma qui n’obéit à aucun canon, Marcel Marx (Wilms, génial) est, pour paraphraser un slogan de Mai 68, « marxiste tendance Groucho » : à côté de la plaque sur bien des points mais raccord sur l’essentiel. Les acteurs disent leur texte avec un air absent (normal, ils ont la tête dans les nuages), Jean-Pierre Léaud lance des regards noirs (il joue un indic), les couleurs pètent (le cinéma, c’est mieux que la vie). Comme Gustave Kervern et Benoît Delépine, ses amis et émules, Kaurismäki filme des hurluberlus magnifiques dont la marginalité est aussi politique que cinématographique.Le cinéma d’Aki Kaurismäki est unique. Il mêle humanisme et alcoolisme, surréalisme et quotidien, soit des choses a priori peu compatibles. Dans Le Havre, le réalisateur finlandais brosse ainsi le portrait de petites gens qui, confrontées au cynisme du monde moderne, trouvent leur salut dans la picole et la solidarité.
Première
par Damien Leblanc
L'histoire de Marcel Marx, cireur de chaussures qui vient en aide à un enfant immigré originaire d'Afrique noire, ne se départit donc pas d'une invraisemblable et démesurée mystique - la maladie mystérieuse d'Arletty, la femme de Marcel, donnant par exemple l'impression d'atténuer le libre-arbitre de Marcel, qui se trouve poussé vers l'altruisme par une force invisible. Mais, conscient du relatif manque de lien logique entre les différentes saynètes de son récit, Kaurismaki travaille une matière en particulier, celle du langage. Entre la diction très théâtrale d'André Wilms, l'accent à couper au couteau de Kati Outinen ou le parler droit et enfantin de Blondin Miguel (dans le rôle d'Idrissa), la langue française comme un objet sonorement malléable, vivant et multidimensionnel mais qui se doit de toujours respecter une justesse et une précision grammaticale. Cette ligne imperturbable, qui donne lieu à quelques séquences quasi-surréalistes permet à Aki Kaurismaki d'affirmer avec vigueur une sorte de foi absolue en plusieurs valeurs ancestrales. La langue française est un avatar de l'humanisme, semble nous dire le cinéaste : subissant des assauts de toutes parts, il lui reste toujours la possibilité de rester debout, tant que des citoyens exercent leur droit à la vigilance.