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Au Seigneur des Anneaux, mais pas seulement...

Dans la galaxie des plus célèbres films non réalisés, nous vous avons déjà parlé du Hobbit version Guillermo Del Toro (l’histoire est ici), du Total Recall de David Cronenberg (le concept art est là) ou du Dune d’Alejandro Jodorowsky (sujet du documentaire dément Jodorowsky’s Dune, qui a fait l’objet d’un article dans Première). Nous profitons de la diffusion de La Planète des Singes : Les Origines, ce soir sur TF1, pour replonger dans l’histoire d’un autre projet avorté : celui du reboot de La Planète des singes par Oliver Stone. Avec Schwarzenegger et un scénario barré.

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Flashback d’acide
Décembre 1993. Avant la sortie de son hyperviolent Tueurs nés, les producteurs d’Oliver Stone Jane Hamsher et Don Murphy cherchent déjà le prochain film du réalisateur, lessivé par le flop de son ultime "film de Vietnam" Entre le ciel et l’enfer. Murphy emmène Stone à une réunion de cadres de la 20th Century Fox -qui produisait Tueurs nés via sa filiale Regency- pour préparer le retour de la saga La Planète des singes. Le dernier film de la franchise, La Bataille de la Planète des singes, remontait à 1973 et avait connu le pire résultat au box-office des cinq films de la série. La Fox voulait un reboot dès 1988 : en 1992, Peter Jackson et sa compagne/co-scénariste Fran Walsh avaient même tenté sans succès de travailler au film avant de se tourner vers Fantômes contre fantômes. Stone, lui, n’a rien à foutre des singes et de la franchise, mais par amitié pour Murphy se contente de lancer une idée de pitch un peu au hasard : "et si le temps n’était pas linéaire, mais circulaire, et qu’il n’y avait pas de différence entre le passé et le futur ? Et si on découvrait des singes védiques (sic) cryogénisés qui détenaient le code secret de la Bible prévoyant la fin de la civilisation ?" D’après Jane Hamsher, qui raconte la scène des ses mémoires, Stone devait être "en plein flashback d’acide" pour proposer un tel pitch. Néanmoins, et contre toute attente, la Fox est emballée et lance le projet.

Mad Apes
A partir de ce pitch délirant, Jane engage alors Terry Hayes pour écrire le script de Return of the Apes -titre de travail du sixième film de la série. Hayes, grand pote de George Miller, auteur de Calme Blanc et co-scénariste de Mad Max 2 : le défi et Mad Max au-delà du dôme du tonnerre, se lâche complètement. Dans un futur proche, la race humaine est menacée d’extinction. Une mutation venue du fond des âges fait vieillir les humains à une vitesse folle, comme une super-progéria. A tel point que les bébés sortent du ventre de leur mère déjà morts, prématurément vieillis. Par chance, le scientifique Will Robinson découvre que l’ADN permet de voyager dans le temps -"à travers l’évolution"- et tente donc de sauver l’espèce humaine. Il emmène avec lui une humaine, Billie Rae Diamond, pour remonter le temps "102 000 ans plus tôt" au Kenya, dans le berceau de la race humaine. Qui est esclave du peuple singe, responsable de la mutation. Ils sont capturés par l’armée des singes menée par le cruel général Drak et équipée de machines de guerre steampunk. Gravement blessé, Will est sauvé par une transfusion sanguine grâce à un médecin singe qui lui donne du sang d’Aragorn (sic), un esclave humain. Ce dernier s’allie à Will pour s’évader, mener la révolte, éliminer le virus, et mener une ultime bataille contre les Singes. Will coupe en deux Drak. Le film se termine sur l’image de Will, sauveur de l’espèce humaine coincé dans le passé, qui construit une statue de la liberté sur la plage. "Pour que nous n’oublions jamais d’où nous venons". Et pour relier le film à la fameuse scène finale de La Planète des singes de 1968, of course. 

Le Seigneur des singes
Outre Aragorn, le scénario de Hayes multiplie les références au Seigneur des Anneaux : des personnages s’appellent par exemple Nazgul ou Strider. Aragorn, "chef des Rangers de l’Est" détient un morceau d’argent qu’il appelle "mithral", presque comme le mithril, le métal mythique de la Terre du Milieu… On apprend aussi dans le film que le héros, avant de s’appeler Will Robinson -soit le chef de famille de la série Lost in Space- s’appelait Robert Plant. Comme le chanteur de Led Zeppelin (le groupe a d’ailleurs fait de nombreuses références à Tolkien dans ses chansons). Excédé d’être vanné à cause de son homonymie, Robert avait décidé de changer de nom. Autre détail : le Conseil des anciens singes détient le "Livre de la Sagesse" sorte de proto-Bible mélangeant des citations de l’Apocalypse et reliant in fine le script au pitch originel de Stone.

Les singes font du baseball
Munie de ce script taré mais finalement assez cohérent dans son délire, Hamsher, Murphy et Stone proposent le film à Arnold Schwarzenegger. Qui est emballé à l’idée de tenir le rôle de Will dans un "film de singes violent, sanglant et gore", se rappelle Jane. "C’était un mélange de Gorilles dans la brume et de Terminator", se rappelle Don Murphy avec enthousiasme. A la lecture du synopsis, on pense plutôt à Zardoz meets Mad Max, mais tout est bon pour vendre un film. Problème : au même moment, les choses bougeaient à la Fox. Chris Meledandri, producteur du film au sein du studio, est promut à Fox Family -la division films pour enfants de la Fox, laissant le projet Return of the Apes aux mains d’un nouveau producteur, Dylan Sellers. Ce dernier n’est pas fan de la franchise, et encore moins du script de Hayes. Dylan veut un film beaucoup plus mainstream, "comme les Pierrafeu" (l’adaptation de la série avait cartonné en mai 1994 aux Etats-Unis). Son idée de génie : inclure le baseball. Dylan veut que lorsque Will arrive à Ape City, les Singes essaient de jouer au baseball. Will va devenir leur coach. Persuadé du bien-fondé de son idée, Sellers remplaça en janvier 95 Stone par Phillip Noyce (Jeux de guerre, Danger immédiat), vira Hayes, mais ne put trouver de nouveau scénariste pour Return of the Apes version baseball. Entre-temps, Tueurs nés était sorti en salles. Succès d'estime au box-office mais scandale assuré pour ce road trip psychédélique d'un couple de tueurs. Stone repartit vers son obsession, l'histoire de l'Amérique : il réalisa en mai 95 Nixon, biopic du président éponyme avec Anthony Hopkins.

James Cameron se plante
Octobre 95 : Sellers, sous l’emprise de l’alcool, se plante en voiture et tue son passager et collègue. Sellers part en prison et Chris Columbus (auréolé du hit Madame Doubtfire) devient le nouveau réal de La Planète des singes. Au scénario, Sam Hamm (Batman de Tim Burton) reprit l’idée du virus du script de Hayes, toujours avec Schwarzie dans la peau du héros. La Fox n’est pas satisfaite. Et demande en 1996 à James Cameron de produire et écrire le film (Peter Jackson se fit encore rembarrer du projet). Cameron souhaite faire une suite directe du film de 68 et de sa suite, Le Secret de la planète des singes -faisant même paraît-il revenir Charlton Heston dans son rôle. Mais on ne sait pas si Cameron, tout entier pris par Titanic, avait eu le temps de boucler un scénario viable. En novembre 1998, après envisagé Michael Bay comme réal, Cameron choisit Peter Hyams (Outland avec Sean ConneryRelicTimecop...). La Fox refuse, et en décembre, Cameron et Schwarzie abandonnent l’affaire. Le nouveau Planète des singes sera finalement mise en scène dans la douleur et dans le rush par Tim Burton : sorti en juillet 2001, La Planète des singes avec Mark Wahlberg est un succès au box-office mais -fait extrêmement rare pour ne pas le souligner- fut jugé tellement mauvais que la Fox renonça à faire une suite. Il fallut attendre 2008 et la mise en chantier de La Planète des singes : Les Origines (sorti en 2011), véritable défi technique, pour donner enfin à la franchise une renaissance digne de ce nom.
Sylvestre Picard (@sylvestrepicard)

Bande-annonce des Origines, rediffusé à partir de 21h sur TF1 :

 


La Planète de singes origines : ça donne quoi sans les effets-spéciaux ?