DR

Le réalisateur du Silence des Agneaux est décédé hier des suites d'un cancer.

Il a réalisé le meilleur film rock de tous les temps

Quel film placer sur la première marche du podium des meilleurs rockumentaires ? C’est un débat vieux comme Rock & Folk, même si, à l’arrivée, on en revient toujours aux trois mêmes films : Gimme Shelter (le crash des Stones à Altamont façon cinéma-vérité), Don’t Look Back (l’invention du mythe Dylan par D.A. Pennebaker) et l’extraordinaire Stop Making Sense, captation par Jonathan Demme de trois concerts donnés par les Talking Heads à Los Angeles en 1983. Sans doute le représentant le plus euphorisant du genre “concert filmé”, un chef-d’œuvre new wave porté par un groupe en état de grâce, saisi dans un luxe de détails inouï, qui atomise tous les clichés du genre (les plans sur la foule en délire) et reste le mètre étalon pop auquel se mesure tous les live tournés depuis. 

 

Il a battu Michael Mann par K.O.

Ne nous faites pas dire ce qu’on n’a pas dit, hein ! On ne cherche pas ici à comparer ce qui n’est pas comparable et à mettre sur la même balance l’œuvre de l’auteur de Heat avec celle du réalisateur de Rachel se marie. Mais Demme a quand même, au moins une fois dans sa vie, battu Michael Mann à plates coutures. Avec Le Silence des Agneaux, il installe Hannibal Lecter dans l’inconscient pop, ce que n’avait pas tout à fait réussi à faire le Sixième Sens (Manhunter) de Mann cinq ans plus tôt (qui mettait pour la première fois en scène, sous les traits de Brian Cox, le gourmet cannibale inventé par le romancier Thomas Harris). Dans une forme olympique, Demme invente au passage le prototype du thriller 90’s (en attendant Fincher...), classique inoxydable qu’on peut revoir sans jamais se lasser, à l’infini. En sirotant un bon chianti.

Il a “inventé” Ray Liotta

La scène ci-dessous est sans doute le moment le plus cool du film le plus cool de Jonathan Demme, Dangereuse sous tous rapports, comédie rock dans laquelle un yuppie new-yorkais (Jeff Daniels, déchaîné) tombe sous le charme vénéneux de Melanie Griffith (plus sexy et drôle que jamais). Ici, Daniels esquisse quelques pas de danse irrésistibles au son d’une reprise du “Fame” de Bowie par les Feelies, quand surgit soudain un petit punk teigneux au regard translucide, qui va faire basculer la rom-com zinzin du côté du film noir. En un seul plan, le quasi inconnu Ray Liotta vient de s’offrir une carrière. La légende dit que c’est en voyant ce film que Martin Scorsese sut qu’il avait trouvé le Henry Hill des Affranchis

 

Il a filmé l’un des plus beaux clips de Bruce Springsteen

Philadelphia, c’est bien sûr la perf’ oscarisée de Tom Hanks, la volonté de briser les tabous en parlant de sida et d’homophobie dans le cadre d’un mélo mainstream… Mais c’est aussi, surtout, les nappes de synthé chialantes et le beat hypnotique du “Streets of Philadelphia” de Springsteen, une ballade que Demme commanda lui-même au Boss (et qui valut un Oscar à celui-ci). Le réalisateur en profita pour tourner le clip, d’une simplicité déchirante, qui colle aux basques du chanteur le long des rues de Philly, pendant que s’élève les chœurs gospel et que les larmes coulent sur nos joues. Nu, beau, désarmant : la musique est superbe et le clip, lui, est un miracle d’iconographie prolétaire américaine, comme un chaînon manquant entre Les Raisins de la colère et The Wire.  

 

Sans lui, Paul Thomas Anderson n’aurait peut-être pas existé

Dans les minutes qui ont suivi l’annonce du décès de Jonathan Demme, le site Indiewire ressortait cette étonnante citation de Paul Thomas Anderson : “Mes trois influences principales ? Jonathan Demme, Jonathan Demme et Jonathan Demme.” Nos confrères de Libé enfonçaient ensuite le clou en citant cet extrait du commentaire audio de Boogie Nights dans lequel PTA disait vouloir “contribuer à la reconnaissance du style de Demme”. Etonnant, surtout de la part d’un cinéaste déjà très occupé à piquer les plans de Altman, Scorsese ou Kubrick. Du coup, on s’interroge… Les conversations en champ-contrechamp et très gros plans de The Master auraient-elles été influencées par les discussions entre Hannibal Lecter et Clarice Starling? “La première fois que j’ai vu un gros plan qui ressemblait à l’idée que je me faisais d’un gros plan, c’était dans Le Silence des Agneaux”, a aussi dit PTA. Tiens, tiens. Intéressant. Au cas où on cherchait une raison supplémentaire de replonger dans l’œuvre de Demme…