Et si les “petits” Kore-eda étaient en fait les plus grands ? Rencontre avec l’orfèvre japonais d’Après la tempête.
Les films de Hirokazu Kore-eda se suivent et donnent l’impression de tous se ressembler. Leur douceur cotonneuse, leur tendresse cajoline, leur art si ténu de la nuance font qu’on les met parfois tous dans le même panier. Pourtant, à y regarder de plus près, la palette du cinéaste est plus large – et plus trompeuse – qu’il n’y paraît. Et si c’étaient ses films d’apparence mineure qui laissaient en fait en nous les marques les plus profondes ? Comme par exemple le superbe Après la tempête, passé presque inaperçu l’an dernier à Cannes mais dont la petite musique mélancolique résonne longtemps après la projection. On a demandé à l’intéressé de nous aider à mettre de l’ordre dans sa filmo.
Première : Dans le dossier de presse du film, vous dites quelque chose de très fort : “Après ma mort, si je me retrouve devant Dieu ou le Juge de l’Au-delà et qu’on me demande : “Qu’as-tu fait sur Terre ?”, je pense que je leur montrerai Après la Tempête en premier.” Est-ce que ça signifie que c’est votre chef-d’œuvre, l’aboutissement de votre parcours artistique, ou alors que c’est votre film le plus personnel, celui qui parle le mieux de vous ?
Hirokazu Kore-eda : Je n’ai pas du tout dit ça en regard des qualités artistiques du film, c’est au spectateur de décider si le film est bon ou pas. Mais de mon point de vue, c’est en effet celui qui me ressemble le plus, qui est le plus imprégné de mon odeur corporelle, de mon ADN. C’est le film qui reflète le mieux la façon dont j’ai vécu et dont je vis. J’ai réalisé une dizaine de films, c’est comme si j’avais dix enfants. Et il y a toujours un enfant qui vous ressemble plus que les autres, en bien ou en mal. Cet enfant qui me ressemble, c’est Après la tempête.
Avoir réalisé votre film le plus personnel, du coup, c’est une sorte d’accomplissement, non ?
Je n’emploierais pas ce mot, parce que je n’ai pas l’impression d’avoir atteint un but. Je considère plutôt ce film comme un nouveau départ. J’ai l’impression désormais que je vais pouvoir expérimenter d’autres choses.
Continuons sur cette idée de projection au paradis… Quel est le deuxième film que vous projetteriez à Dieu après Après la tempête ?
Oh, à mon avis, il est trop occupé, il n’aura pas le temps de voir deux films ! Mais si devais en montrer un autre, disons que celui qui se rapproche le plus de Après la tempête, c’est Still Walking. Mais peut-être que ça l’amusera plus de voir deux films très différents ? Alors peut-être Nobody Knows dans ce cas-là. Ou alors After Life, le titre serait de circonstance…
Au début d’Après la tempête, un personnage parle de la différence entre la musique classique et la variété. Le titre original du film est d’ailleurs le titre d’une chanson populaire au Japon…
Oui, quand j’étais petit, ma mère n’écoutait que ça, j’ai un attachement très fort pour ces mélodies nostalgiques. C’est très sentimental.
Mais est-ce que ça signifie aussi que, dans votre œuvre, il y a des films qui “résonnent” plus comme de la variété et d’autres comme de la musique classique ?
Hum, peut-être bien, oui… (Silence) C’est une question difficile. Disons que c’est un peu comme le “tu” et le “vous” en français. Il y a certains films qui sont plus proches du tutoiement et d’autres du vouvoiement, certains qui sont frontaux et d’autres qui imposent une distance. Peut-être que Tel père, tel fils et Notre petite sœur sont dans le vouvoiement, et Après la tempête et Still Walking dans le tutoiement. C’est une distinction assez ténue. Ça se joue sur des nuances de niveaux de langage.
Quand vos films sont sélectionnés à Cannes, ils le sont parfois en compétition, et parfois dans la section Un Certain Regard. Ça établit de fait une distinction dans votre filmo entre les “grands” et les “petits” films, entre ceux qui seraient des symphonies classiques prêtes à être jouées dans le Théâtre Lumière et ceux qui seraient plutôt des morceaux de variété. Est-ce que vous comprenez systématiquement le choix des sélectionneurs cannois ?
Je comprends tout à fait la distinction que font les sélectionneurs, elle me convient. Je comprends que ce film, Après la tempête, soit allé à Un Certain Regard et pas en compétition. Même si je ne refuserais bien sûr jamais la compétition ! Ça me semble cohérent. Moi, en tant qu’auteur, j’ai naturellement tendance à faire des films comme celui-ci. Il m’arrive de me “redresser” un peu et de faire des films plus imposants, qui sont plus dans l’esprit de ce que vous appelez la symphonie, mais mon goût va généralement aux films intimistes, qui correspondent mieux à la section Un Certain Regard. Je ne suis pas sûr que ce soit à l’auteur de catégoriser lui-même ses films, mais les trois films qui me ressemblent le plus– Après la tempête, Still Walking et After Life – n’ont pas été en compétition dans les grands festivals. Ce n’est pas une critique, je n’en veux pas du tout aux sélectionneurs. C’est juste que ma tendance naturelle me pousse vers ces films-là.
Après la tempête met en scène un personnage d’écrivain qui n’a jamais réussi à écrire son deuxième roman. Comment, quand on est soi-même un cinéaste accompli, arrive-t-on si bien à parler d’un artiste raté ?
Tout le monde me dit que je suis un cinéaste accompli, mais ce n’est pas tant le cas que ça. Si on me demande si j’ai réussi à devenir l’artiste que je voulais être, non, ce n’est pas le cas. Si on me demande si j’ai réussi à devenir le père que je voulais être, non, ce n’est pas le cas. Je ne suis pas non plus le mari que j’espérais être. Je comprends parfaitement ce que peux ressentir le personnage principal car je vis moi aussi avec ce sentiment d’inaccomplissement.
Vous n’êtes vraiment pas devenu le cinéaste que vous vouliez être ?
Non. Je n’avais pas d’objectif précis, mais quand j’ai commencé à faire des films il y a vingt ans, je pensais qu’au bout de quelques années, je comprendrais un peu mieux ce que c’est que de faire des films, que je parlerais un peu mieux le langage du cinéma. Or, j’ai l’impression que plus j’avance, plus des questions se posent à moi, moins je sais y répondre. J’ai l’impression que c’est un domaine très vaste, où rien n’est jamais fini et où il est très difficile d’avoir des convictions. Peut-être que dans vingt ans, j’y verrai un peu plus clair. Mais en tout cas, par-rapport à ce que j’imaginais étant jeune, c’est toujours aussi insoluble.
Après la tempête, actuellement en salles.
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