Tim Burton revient aux affaires avec Alice aux pays des merveilles. Un film qui en dit long sur la carrière du gentil cinéaste gothique... Explications par Léonard HaddadTim n'est plus iciIls s’appelaient Vincent, Edward, Sweeney, Jack, Ed ou Charlie. Ils étaient souvent joués par Johnny, mais ils représentaient invariablement Tim, l’homme qui les avait dessinés dans un joli carnet. Une petite cicatrice ici, une petite moustache-là, une touche d’inquiétude, de tristesse ou de folie dans le regard, et puis une coiffure, toujours une coiffure, oui, au fond, on aurait pu dire que Tim Burton commençait tous ses personnages par la coiffure. La coiffure gominée de Pee Wee, déjà, prénom titre de son premier film. Celle en pétard de Beetlejuice, surnom-titre de son second. La coiffure gothique de Edward, les coupes que ce même Edward faisait aux habitantes du quartier, à leurs chiens et à leurs haies de jardin. Et bien sûr la coiffure de Tim lui-même, cette espèce de touffe ébouriffée n’importe comment qui lui tombe sur les yeux, comme s’il était chanteur de rock, dessinateur de BD ou membre des Musclés au Club Dorothée.Tim est mieux peigné aujourd’hui. Il a toujours une petite touch de folie dans les bouclettes, mais on croit pouvoir affirmer qu’il se peigne une fois par jour. Il se peigne pour les vernissages de ses expos au MOMA de New York (où l’on montre justement ses carnets de dessins, quelques sculptures et figurines, son petit monde à lui, quoi) et il se peignera en mai pour exercer en tant que Président du jury à Cannes. Faut pas déconner, être Tim Burton, aujourd’hui, c’est une marque, mais c’est aussi une distinction, on ne peut pas faire n’importe quoi.Alice, elle, est très bien coiffée. C’est qu’Alice n’est pas une énième version de Tim Burton. Alice est une FILLE et pas le genre un peu freak que semble toujours avoir désiré Tim, si l’on en croit ses autres films et la part publique de sa vie privée. Non, Alice est une jeune fille blonde et sage, avec un serre-tête. Remarquez bien qu’on a dit «jeune», pas «petite», parce qu’elle n’a plus 9 ans mais déjà 19, un peu vieille pour aller au pays des merveilles, un peu trop mure pour sembler découvrir ses propres pulsions, sa part de rêve et d’imaginaire. Mais alors, peut-être que ce ne sont pas les siennes ? Si l’on en croit le principe du film, sa raison d’être, il semble bien que cette Alice n’aille pas vraiment au fond d’elle-même, de l’autre côté de son propre miroir. Sinon, à cet âge-là, comment le film serait-il à ce point safe et asexué ? Non, Alice pénètre le pays intérieur d’un autre, qui ressemble beaucoup à son créateur Burton. Elle est littéralement un corps étranger invitée à visiter le monde de Tim, idée qui respecte assez peu le sens du récit originel de Lewis Carroll mais beaucoup le besoin existentiel du cinéaste d’œuvrer systématiquement dans le domaine de l’autoportrait.Depuis Ed Wood, qui en était un à peine déguisé, d’autoportrait, Tim Burton tourne un peu en rond ou à vide autour des mêmes sempiternelles figures morbides et de la même imagerie poético-gothique. Ses dessins de préparation, on n’a plus l’impression qu’il les fait dans des beaux carnets mais sur des blocs près du téléphone ou des coins de nappes au resto. Sans trop y penser, sans trop s’en faire. Tim Burton est devenu en quelque sorte un petit épicier vendant du lui-même, sa poésie lugubre, sa part d’enfance, parce que c’est ce qu’on lui demande et qu’il n’en a plus grand chose à foutre, on en jurerait. De ce point de vue, Alice est un film bancal mais passionnant, puisqu’il déplace le propos pour ne plus parler de Tim lui-même et de son rapport décalé au monde extérieur, mais du rapport que les autres (c’est-à-dire Alice, et donc nous) pouvons bien entretenir avec son univers. Le sujet du film, son principe, est d’interroger notre potentiel d’«émerveillement» devant les figures si familières de cet ex-jeune cinéaste, qui a en quelque sorte conscience que son monde créatif est pour son public un souvenir, un endroit qu’on a déjà visité et qui ne nous impressionne plus tant que ça. L’effet bénéfique de cette lucidité est d’obliger Tim a remettre son bleu de chauffe pour designer des créatures qui sortent de l’ordinaire, y compris du sien (le fabuleux chat qui part en fumée, la reine rouge, les armées, le Jaberwocky sont des réussites indéniables). Symétriquement, l’effet pervers de cet aveu est de transformer le film en voyage inerte au pays de pantins fatigués, revenus de tout, zombifiés, laissés à eux-mêmes par leur créateur, qui ne s’intéresse plus vraiment à eux. On le sent un peu ailleurs, Tim, on ne sait trop où. Il n’a plus 9 ans, ni même 19, il n’en est plus là, il n’est plus ici.Chef d'oeuvre ou film bancal ? Donnez votre avis sur Alice au pays des merveilles, le dernier film de Tim Burton
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La sortie ciné de la semaine : Alice au pays des merveilles
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