Santosh
Haut et Court

Rencontre avec Sandhya Suri, la réalisatrice de ce premier long métrage de fiction indien, thriller politique et féministe prenant qui rencontre un beau succès en salles depuis mercredi.

Quelle est la première étincelle qui a donné naissance à Santosh, à ce thriller tout à la fois politique et féministe dans les pas d’une veuve de policier qui se retrouve à endosser son uniforme et à mener l’enquête sur un féminicide ?

Sandhya Suri : Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas l’idée de faire un film autour de la police. J’avais envie de parler de la violence subie par les femmes en Inde et je cherchais un moyen de le faire, la meilleure façon de la filmer. Et puis, un jour, en 2012, un fait divers horrible a fait la une des journaux : un viol collectif commis dans un bus à New Dehli. Et une image a retenu mon attention : celle d’une femme policière qui faisat face à une foule de manifestants. Il y avait dans son regard une expression ambigüe, quelque peu en décalage par rapport à la situation qui me fascinait. J’ai alors commencé à me documenter sur les femmes policières. C’est là que j’ai découvert cette loi dont va bénéficier mon héroïne, Santosh, qui permet à toute veuve d’un fonctionnaire tué dans l’exercice de ses fonctions d’hériter de son poste. C’est ainsi qu’est née petit à petit la trajectoire de Santosh.

Comment l’avez- vous construite ?

J’ai été sélectionnée pour participer au Sundance Lab où j’ai eu la chance de pouvoir échanger et confronter mon travail à des mentors aussi divers que Zachary Sklar, le co- scénariste du JFK d’Oliver Stone ou Thomas Bidegain. Des Américains comme des Européens, donc. Ca m’a à la fois conforté dans le fait que j’avais une histoire qui tenait la route et donné confiance à la documentariste que je suis de m’essayer à la fiction, sans jamais perdre de vue ce qui me passionne et guidera ce scénario puis ce film jusqu’au bout : la véracité des choses sans tomber dans le didactisme, que je déteste comme spectatrice de fictions comme documentaires. Et mon plus grand défi avec Santosh a consisté à ne rien marteler, à retrouver au fond en permanence l’ambiguïté que j’avais vue dans le regard de cette policière. Pour cela, je devais tout à la fois faire preuve d’efficacité et faire confiance à l’intelligence des spectateurs. Leur permettre d’être actif, ne pas tout pré- mâcher. Ce que symbolise parfaitement la relation entre Santosh et sa supérieure hiérarchique qui semble aussi protectrice que prête à la sacrifier à tout moment pour se protéger elle- même. C’était important pour moi de montrer des personnages féminins avec différentes facettes, de ne pas les enfermer dans le camp du bien face au camp du mal. Par souci de réalisme encore et toujours.

Cette volonté de coller avec la réalité explique aussi votre souhait de mêler professionnels et non professionnels à l’écran ?

Exactement ! Je me suis régalée à construire pas à pas la distribution de ce film, à voir les non- professionnels s’approprier le texte et les professionnels se nourrir d’eux

SANTOSH: UN THRILLER POLITIQUE FEMINISTE PASSIONNANT D'AMBIGÜITE [CRITIQUE]

 

Qu’est ce qui vous a poussé à confier à Shahana Goswami le rôle- titre ?

Shahana est arrivée… le dernier jour des auditions grâce à mon directeur de casting qui l’avait repérée dans un film, avec un rôle qui n’avait rien à voir avec Santosh. Sur le papier, ce n’était pas une évidence : elle était par exemple un peu plus âgée que le rôle. Mais ces réticences ont volé en éclats dès que je l’ai vu jouer. L’innocence de son visage a tout de suite laissé place à une complexité qui correspondait à ce que je recherchais pour ce rôle et pour le film tout entier.

Comment avez- vous travaillé avec elle ?

Pour écrire ce film et pour préparer le tournage, j’ai passé énormément de temps au contact des forces de l’ordre. Et j’ai tenu à ce qu’on aille toutes les deux plusieurs jours au contact des policiers et de leur quotidien. Et à chaque fin de journée, on en discutait et on apportait des modifications au scénario par rapport à ce qu’on avait pu vivre et observer

Certains films vous ont précisément inspiré pour construire l’atmosphère visuelle du film avec votre directeur de la photo Lennert Hillege ?

De manière inconsciente, sans doute. Mais on ne s’est pas appuyé sur telle ou telle référence. On a vraiment résonné en termes d’atmosphère pour créer à l’écran l’univers le plus immersif, le plus organique possible. Ce qui passait d’ailleurs tout autant par le son que par l’image. Je voulais qu’on ressente l’Inde dans chaque plan. Et bousculer les images d’Epinal. L’ambiguïté que je recherchais passait par ce réalisme- là.

Vous parliez d’un film en équilibre pour ne pas tomber dans le didactisme. Celui a-t-il été compliqué à tenir au montage ?

Moi, j’adore le montage ! Et là mon expérience de documentariste m’a énormément servi. J’ai travaillé avec un monteur français Maxime Pozzi- Garcia (Visages villages, Slalom…). Et j’ai abordé les choses de manière sereine car j’avais la conviction que le matériau de tournage était riche et complet, qu’il ne me manquait rien mais aussi qu’avec le temps passé sur le scénario et les retours que j’en avais eu, je pouvais me reposer sur une base solide. Le défi a été de ne rien perdre pour arriver à un film d’2h08, avec toute la matière que j’avais. Mais qu’est ce que cette étape me passionne !

Santosh. De Sandhya Suri. Avec Shahana Goswami, Sanjay Bishnoi, Sunita Rajwar… Durée : 2h08. Sorti le 17 juillet 2024