Le combat d’un avocat contre un géant de l’industrie chimique qui empoisonne la planète. Angoissant.
Dark Waters est disponible aujourd'hui en VOD. A sa sortie, en février dernier, Première avait beaucoup apprécié ce thriller écolo porté par Mark Ruffalo. Voici notre critique :
Où est Todd Haynes dans Dark Waters ? A priori, on pourrait penser que ce projet-là n’était pas forcément pour lui. Haynes, normalement, s’amuse à raconter l’histoire des pop stars avec des poupées (Superstar : the Karen Carpenter Story), célèbre les idoles des marges (Rimbaud, Bowie, Bob Dylan), modernise les codes surannés des grands mélos d’hier (Loin du paradis, Mildred Pierce, Carol…). On ne l’attendait pas sur le terrain du thriller parano « d’après une histoire vraie », du portrait de lanceur d’alerte écolo, le genre de film « Dossier de l’écran » qui s’adresse moins à notre sensibilité de cinéphile fétichiste qu’à notre conscience de spectateur citoyen. Mais quand Mark Ruffalo lui a demandé de porter à l’écran l’article du New York Times racontant le combat de Rob Bilott contre DuPont, géant industriel responsable d’un empoisonnement à grande échelle (à cause des méfaits du C8, dérivé du fluor utilisé dans le revêtement des poêles en Teflon), Haynes n’a pas hésité. Signer un film aussi straight que Dark Waters ne signifie pas rentrer dans le rang, au contraire, c’est une autre façon pour lui d’être rebelle et « contre-culturel ». Regardez Gus Van Sant : aimer filmer des skateurs mélancoliques ou des chanteurs grunge suicidés ne l’empêche pas, à l’occasion, de retracer les grands combats politiques de son pays (Harvey Milk) ou de s’inquiéter des conséquences néfastes de l’extraction du gaz de schiste (Promised Land).
GALVANISÉ
Cela dit, Todd Haynes réfrène singulièrement dans ce film son habituel goût du baroque postmoderne : s’il y a bien ici, comme souvent chez lui, l’envie de se placer dans la roue d’un genre (appelons-le « cinéma de dénonciation » et citons Les Hommes du Président, Le Mystère Silkwood, Erin Brockovich et Révélations en guise de figures de proue), il ne cherche jamais à le travestir ou le reconfigurer. Juste à en livrer un spécimen vibrant, tendu, tout entier guidé par un désir d’efficacité. La star, ici, c’est le sujet... et Mark Ruffalo. On sent l’acteur surinvesti dans le film, corps et âme, galvanisé par la colère que lui inspire cette histoire et par l’admiration manifeste qu’il porte à son modèle. Sous ses traits, Rob Bilott est dépeint comme cet avocat propre sur lui, un rien falot, un bon élève qui avait passé sa vie à défendre les grands groupes de l’industrie chimique avant, un beau jour, de se mettre à mordre la main qui le nourrissait. Dark Waters ne fait pas mystère des raisons du combat de l’avocat. On comprend dès le début que, s’il a décidé de tout risquer (sa santé, sa tranquillité d’esprit, la sécurité financière de sa famille, et même sa vie), c’est pour ne pas perdre son âme. Le film raconte cela très simplement, assez superbement, en montrant Bilott alerté sur les méfaits du C8 par un fermier dont le troupeau de vaches a été décimé après avoir bu l’eau polluée par les déchets toxiques de l’usine DuPont, qui avait pris l’habitude de balancer ses poubelles dans la rivière Ohio. Le fermier en question est un voisin de la grand-mère de Bilott, le genre de type qu’on ne peut pas envoyer balader quand il vient sonner à votre porte. Le champ dans lequel l’avocat jouait gamin est désormais jonché de cadavres d’animaux. Instantanément ramené à ses racines provinciales, au système de croyances qui a fait de lui l’homme qu’il est, il comprend qu’il ne pourra plus jamais se regarder dans une glace s’il ne fait rien. En cela, son parcours est assez proche de celui de l’avocat joué par John Travolta dans Préjudice, de Steven Zaillian, chef d’œuvre méconnu du genre.
DESTIN COMMUN
Si l’on cherche Todd Haynes dans Dark Waters, c’est peut-être là qu’il se cache, dans la sensibilité bouleversante de ces scènes, celle du retour au pays natal, quand Bilott/Ruffalo arpente la Virginie-Occidentale, sur un air de John Denver (Take me home, country roads), dans la lumière engourdie et hivernale de la photo signée Ed Lachman. Comme si Todd Haynes traquait ici une vérité américaine primitive, enfouie, préindustrielle, où résonnerait une conscience aiguë de la communauté. Cette même conscience qui nous saisit à la fin du film quand un carton nous explique que le C8 est présent dans le sang de la quasi-totalité des habitants de la planète. L’information est glaçante mais dit bien aussi que nous sommes tous liés les uns aux autres par un destin commun. Impossible de ne pas sortir de ce film sans être remué par cette idée. Impossible non plus de ne pas avoir envie de courir chez soi bazarder toutes ses poêles en Teflon. En chemin, on se souviendra que le premier long métrage de Todd Haynes s’appelait Poison.
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