Terry Gilliam au Festival Lumière 2023
Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA

Le cinéaste britannique de 82 ans donnait une masterclass lyonnaise pour accompagner la ressortie française de son Armée des 12 singes. Nous y étions...

Chemise à carreaux ouverte sur un vieux t-shirt déformé, une excroissance capillaire douteuse, Terry Gilliam, 82 ans, reste ce punk iconoclaste qui, s’il se prête volontiers à l’exercice de la masterclass, en redoute l’aspect solennel. Dans la salle bondée du Pathé Bellecour de Lyon en marge du raout Lumière, l’ex-Monty Python, balance des « prout » au micro dès que son discours apparaît trop sérieux. Le gimmick sonore deviendra même le mantra d’une rencontre sympathique animée pour le Monsieur (trop) Loyal Didier Allouch. L’interview très chronologique est forcément passée par L’Armée des 12 singes, plus gros succès commercial de la carrière Gilliam qui ressort dans une copie restaurée le 8 novembre prochain en France.

On en a d’ailleurs profité pour revoir, ici à Lyon, ces Singes afin d’en mesurer la résistance. En bons snobinards que nous sommes, nous ne nous lassons pas de (re)voir La Jetée de Chris Marker dont le film de Gilliam s’inspire vaguement. Nous ne pouvons pas en revanche retourner le compliment à ces 12 singes dont on n’avait pas revu la couleur depuis les temps qui les ont vu naitre : les mid-nineties. Il n’aurait peut-être pas fallu. Car si l’objet se targue, par son récit même, de brouiller les repères spatio-temporels (l’action se passe quasi simultanément dans le futur, le présent et le passé), l’esthétique déployée le retient indécrottablement dans ce que les années 90 ont proposé de plus douteux visuellement : clips vidéo faussement agités, brocante façon Caro & Jeunet ou Besson, halos de lumière blanchâtre... Bruce Willis en sourdine, lui, reste très bon ; Madeleine Stowe, compréhensive et aimante, aussi. Quant à Brad Pitt, sa folie cartoonesque épuise.

Voici quelques morceaux choisis de la masterclass...

Quel impact peut avoir L’armée des douze singes sur un public qui le découvrirait aujourd’hui ?

La pandémie liée au Covid-19 que nous avons tous connu rend le scénario du film très actuel... Je pense que celles et ceux qui le verront pour la première seront convaincus que Terry Gilliam est un prophète... Prout... ! 

Est-ce un film qui a été difficile à produire ?

Le script m’a été proposé par mon agent. S’il est arrivé entre mes mains c’est que personne d’autre n’en voulait. Le studio (Universal) avait déjà dépensé un million de dollars pour l’écriture et voulait un retour sur investissement. Il fallait donc des stars. Les producteurs avaient dressé une liste. Personne ne m’intéressait à part Bruce Willis. Bruce était venu sur le tournage de Fisher King, mon film précédent, pour rendre visite à son pote Jeff Bridges. Je lui avais alors parlé de son personnage dans Piège de Cristal et notamment d’une séquence qui m’avait particulièrement marquée où McLane, enfermé dans le building, les pieds nus en sang, appelle sa femme au téléphone et se met à pleurer. Voir cet action-hero en larmes rendait la séquence vraiment touchante. Bruce m’a regardé et dit : « C’était mon idée ! » Je me suis dit qu’il avait beaucoup d’autres choses à montrer en tant que comédien... Jusqu’ici son jeu était totalement extraverti. Avec L’armée des 12 singes, je lui ai proposé de travailler son intériorité, de ne rien montrer. Il a été ravi... Prout !

L'armée des 12 singes
Universal Pictures/Atlas Entertainment

Et Brad Pitt ?

J’étais à Londres et Brad Pitt débarque chez moi. Il me propose d’incarner le rôle que Bruce Willis venait juste d’accepter. Il n’était bien-sûr au courant de rien.  Il lui a donc fallu envisager le rôle de Jeffrey Goines, le psychopathe. Jusqu’ici Brad était surtout connu pour ses rôles de types à la cool, au débit très lent. Or Jeffrey Goines est un personnage agité. Je l’ai donc mis en contact avec le coach de Jeff Bridges pour Fisher King afin qu’il travaille sa diction... Le coach m’a dit : « Ce type est incapable de parler rapidement... » Mais Brad a travaillé comme un fou, il a rencontré des malades dans des hôpitaux psychiatriques. Le premier jour de tournage, sur le plateau, il a littéralement explosé. Il partait dans tous les sens.  

Le scénario s’inspire du court-métrage La Jetée de Chris Marker. Comment avez-vous réussi à vous en détacher ?

Je ne l’avais tout simplement pas vu avant de tourner le film ! C’est lors de la projection en avant-première de L’armée des 12 signes au Grand Rex à Paris que je l’ai découvert pour la première fois. Les distributeurs français l’avaient proposé en complément de programme. La Jetée c’est la graine, L’armée des 12 singes, c’est l’arbre... Prout !

Seriez-vous prêt à réaliser un Marvel si on vous le proposait ?

Il y a trente ans avec plaisir... Je suis trop vieux pour ça !  

L’armée des 12 singes. De Terry Gilliam. Avec : Bruce Willis, Brad Pitt, Madeleine Stowe... 2h10. Ressortie en salles le 8 novembre en copies restaurées.

Retour sur les galères de tournage de L'armée des 12 singes