Fin 2021, elle nous avait reçus chez elle, à l’occasion du documentaire de sa fille, Jane par Charlotte, pour évoquer son parcours. Deuxième partie de notre hommage où il est ici question de Gainsbourg, Pierre Richard, Piccoli et Doillon.
C’était une après-midi de novembre 2021, quelques semaines avant la sortie du magnifique documentaire Jane par Charlotte que sa fille Charlotte Gainsbourg lui avait consacré. Jane Birkin nous avait ouvert les portes de son appartement parisien de la rue du Cherche- Midi pour retracer sa carrière de comédienne et de réalisatrice. L’accueil y avait été aussi chaleureux que le lieu, véritable cabinet de curiosités qui nécessiterait des heures pour explorer les mille et un trésors et souvenirs qui le composent. Son chien s’était installé paisiblement à nos pieds et avait entamé une sieste qui allait durer tout le long de l’heure de confidences à laquelle elle s’était prêtée sans rechigner à emprunter la machine à remonter le temps. C’était sans doute parce qu’elle était profondément ancrée dans le présent que le passé ne lui faisait pas peur. Alors qu’on a appris aujourd’hui sa disparition soudaine à 76 ans, on a eu envie d’ouvrir à notre tour le livre de ce souvenir inoubliable avec elle. En trois parties pour survoler ses quasi 60 ans de carrière. Voici la deuxième
JANE BIRKIN- LE CINEMA ET MOI, PARTIE 1- DE BLOW-UP A DON JUAN 73En 1976, arrive le film de la bascule pour vous : Je t’aime moi non plus…
Oui avant de le tourner, je sais que ça allait être différent de tout ce que j’avais pu tourner jusque là. D’abord parce que je l’ai inspirée et aussi parce que, du coup, j’avais la certitude que personne ne pourrait mieux le jouer que moi. Ce qui ne m’était jamais arrivée jusque là. Dirk Bogarde avait été un temps pressenti pour le rôle mais Serge a eu raison de prendre Joe d’Alessandro. Sa jeunesse est essentielle au film. Je n’ai jamais vu des techniciens aussi dévoués sur un plateau tellement Serge était attentionné envers tous. C’était un tournage absolument idyllique. Serge admirait autant son équipe que son équipe l’admirait. Je porte une perruque car il ne voulait pas que je coupe mes cheveux. Sinon, j’aurais eu la même coupe donc la même tête dans Le Diable au cœur que je tournais juste après. Cette moumoute m’a aidée à devenir ce personnage. On était tellement dedans que j’ai failli y mourir étouffée quand Hugues Quester me met un sac plastique sur la tête et que Serge a mis du temps pour couper
Vous aviez conscience que ce film allait choquer ?
Je n’y pensais pas. Je mesurais juste la chance inouïe de pouvoir incarner un tel rôle. C’est ma maman qui m’a ramenée à cette réalité- là en me disant ce que je faisais dans un film qui était programmé à Londres dans un cinéma porno. J’ai eu beau lui expliquer que Truffaut avait dit d’aller voir le film de Serge avant son Argent de poche qui sortait en même temps ! Mais je comprends ma pauvre maman qui ne savait pas quoi dire à ses amis !
Quel metteur en scène était Gainsbourg ?
Il était comme un peintre et ses plans comme des tableaux. Je tenais à ce rôle comme si c’était du Shakespeare. C’est la première fois que j’ai pris plaisir à jouer
Dans ces années- là, vous faîtes aussi des comédies sous la direction de Claude Zidi, La moutarde me monte au nez et La Course à l’échalote… Vous vous sentez tout de suite à l’aise dans ce registre ?
Ma vraie joie fut de travailler les deux fois avec le même metteur en scène. C’était une première pour moi qu’on me refasse ainsi confiance. De ne pas avoir peur d’être virée à chaque instant. Qui plus est, les deux fois avec le merveilleux Pierre Richard. Quand Claude m’a engagée pour La moutarde me monte au nez, je lui avais dit qu’il devrait plutôt demander à une vraie star comme Bardot. Et là, il m’a dit : « après ce film, c’est vous qui allez être une star ». Donc je dois beaucoup à Claude. Pierre était si irrésistible. C’est drôle parce que la semaine dernière, un Russe m’a arrêté au bas de la rue pour me parler de ces deux films ! Ce sera génial de se retrouver à 80 ans chacun pour un film déconnant ! Je n’ai jamais eu un partenaire aussi aimé par le public
Et quel partenaire était Pierre Richard ?
Délicieux… parce qu’il avait peur de tout ! (rires) Je me souviens qu’il était venu me voir à Londres alors que des attentats de l’IRA frappaient la ville. Je l’avais transporté caché dans un trolley pour l’emmener dans le lit de Kate. Sa maladresse était merveilleuse aussi. Et que ces tournages étaient joyeux ! On allait au casino tous les soirs. Serge avait tellement bu qu’à chaque fois que le mec disait « rien ne va plus », il fonçait la tête la première dans le mur ! (rires) Tout était drôle et charmant. Sans doute parce que les gags étaient très physiques
Après Serge Gainsbourg, vous allez tourner plusieurs films avec un autre homme de votre vie, Jacques Doillon. Et là encore il y aura un scandale à Cannes en 1984 avec La Pirate. Vous vous y attendiez ?
De nouveau absolument pas ! Je me suis sentie comme la leader d’une cause essentielle qui dépassait un film. Des femmes sont venues me remercier pour avoir fait ce film. J’étais tellement fière. A Cannes, je pensais vraiment qu’on allait triompher au palmarès. Je suis donc restée jusqu’au dernier soir, certaine qu’on aurait un prix. Mais Dirk Bogarde, le président du Jury, avait détesté le film et on a été victime d’un flot de haine d’une partie de la presse où des cris, des insultes, des quolibets ont commencé dès mon premier baiser avec Marushka (Detmers) pour ne jamais prendre fin. Des gens sifflaient la musique de la pub Dim dès que Marushka se dénudait. Je me suis fait cracher dessus en sortant de la salle. On ne sait toujours pas d’où est venue cette cabale si ce n’est que ça a dû déranger les gens sur place. Mais de mon côté, c’est l’un des plus beaux textes que j’ai eu à défendre. Tout comme La Fille prodigue que j’ai tournée avec Jacques quatre ans plus tôt. C’est du Bergman. Elles feraient deux merveilleuses pièces de théâtre encore aujourd’hui
Quel directeur d’acteur était Jacques Doillon avec vous ?
C’est quelqu’un qui croyait que vous pouviez être un coureur de fond et un sauteur d’obstacles gigantesques et vous demandait des choses d’une complexité infinie pour vous prouver qu’il avait raison ! Il pouvait faire jusqu’à 80 prises de plans- séquence de 10 minutes et ce dans un seul but : pour que ses acteurs brillent. Les actrices sont toujours magnifiées chez lui. Et c’était le cas en moi. Dans La Fille prodigue avec Piccoli, que je considère comme mon père adoptif, La Pirate ou Comédie !. Et pour moi, comédienne un peu légère pas vraiment prise au sérieux, il m’a offert mes premiers drames. Jacques a vu en moi dans la vie quelqu’un de beaucoup plus déprimée et sombre que l’image que je projetais dans mes apparitions télé. J’ai aimé défendre ses textes et ma carrière a changé à partir de ce moment- là. On m’a prise au sérieux pour la première fois. Ainsi c’est après avoir vu La Pirate que Patrice Chéreau m’a demandé de jouer La Fausse suivante aux Amandiers. Mes débuts au théâtre.
Vous évoquiez votre rapport particulier avec Michel Piccoli. Comment l’aviez-vous rencontré ?
Il habitait rue de Verneuil comme Serge et moi. C’est lui qui a demandé à ce que je passe en 1975 les essais pour Sept morts sur ordonnance que j’ai fini par décrocher alors que personne ne pensait que je serais capable de jouer la femme de Depardieu dans ce si beau film. Jacques (Doillon) avait ensuite d’emblée pensé à lui pour La Fille prodigue et dans La Belle noiseuse, ce fut vraiment très naturel pour moi de jouer sa femme jalouse de lui et de sa relation avec le modèle que joue Emmanuelle Béart. Je peux dire que Michel faisait partie de ma famille. Je le respectais autant que je l’aimais. Il était tellement droit. Dès qu’il y avait un combat à mener, il répondait présent. C’est le seul que j’ai pu entraîner dans mon clip de soutien à Médecins du Monde et pour dénoncer la torture pendant la guerre en ex- Yougoslavie.
Jane Birkin et le cinéma et moi partie 3 : de Jane B. par Agnès V. à Jane par Charlotte
Commentaires