Rencontre avec le réalisateur du biopic de Lance Armstrong.
Hitchcock disait « plus le méchant est réussi, meilleur est le film. » On a l’impression que c’est ce qui vous a intéressé chez Armstrong : en tant que personnage de cinéma, il est plus un méchant qu’un héros. Un psychopathe !
C’est comme ça que vous le considériez ? J’ai toujours considéré le projet comme une enquête criminelle. Mais alors, Armstrong est une sorte de génie du crime… Je ne connaissais pas grand-chose sur lui ni sur le Tour de France. Au fil de mes lectures, je me suis passionné pour ce type qui gagnait toutes ces courses, prenait des drogues, et mentait. Un sujet très contemporain.
Comment le secret a-t-il fini par percer ? Une série de livres sur Lance ont été édités, écrits par des gens qui avaient couru à ses côtés, et qui s’étaient donc dopés avec lui. Au sein de l’équipe, Lance était au sommet de la pyramide. Aucun autre coureur ne pouvait prétendre à être numéro 1. Ils devaient toujours lui être dévoués à 100%. C’est seulement quand ils quittaient l’équipe qu’ils échappaient à son influence. Et là, ça devenait explosif, parce qu’ils connaissaient la vérité sur le dopage et tout le reste. Le premier à écrire sur le sujet a été Tyler Hamilton. Et c’est comme ça qu’Armstrong est tombé. On ne peut pas contenir indéfiniment les faits. Les journalistes sont trop malins.
Sauf que justement : la presse avait manifestement du mal à dire la vérité. La télé qui payait des fortunes pour avoir le droit de couvrir le Tour de France ne pouvait pas se permettre d’insinuer que les coureurs trichaient. C’est un combat constant, non ? D’après ce que j’ai compris, la presse française a été plutôt honorable, même si les journaux spécialisés, surtout dans le cyclisme, étaient tenus au secret par leurs financiers. Je ne me souviens plus du nom du propriétaire de L’Equipe (le Groupe Amaury), mais c’est aussi celui qui organise le Tour de France ! L’indépendance de la presse n’est jamais facile à assurer, encore moins dans un tel contexte. Pourtant, je suis sûr que leurs représentants n’avaient aucune intention de mentir. David Walsh (le journaliste qui enquête sur Armstrong dans The Program) travaillait pour Rupert Murdoch et à un moment, Armstrong a parlé directement à Murdoch pour essayer de le faire taire. Certains journalistes ne manquaient pas de courage, mais ils devaient aussi lutter contre une conspiration du silence au sein du peloton.
Ce thème de la vérité et du mensonge se retrouve dans la relation contrastée entre Armstrong et son équipier Floyd Landis, sur laquelle vous vous arrêtez longuement. Comme les autres, Floyd Landis a fini par trahir Armstrong après avoir quitté son équipe. Ça finit toujours par arriver lorsqu’on ne peut plus progresser. Dans le film, cela permet aussi de mettre en scène un vrai conflit moral.
The Program fait de Lance Armstrong un grand personnage de cinéma
En plus, Landis était mormon... Et ça, c’est un handicap si on veut mentir ! Mais il est vrai que la question l'a torturé : devait-il avouer ou non ? Il a mis un an avant de sauter le pas.
Cette histoire d’arnaque rappelle un peu votre film Héros malgré lui (1992), dans lequel un escroc est pris pour un modèle par le public. Je n’y avais pas pensé, mais c’est un thème puissant : les choses ne sont jamais exactement ce que l’on croit. L’attente du public pour une figure héroïque est immense. Et lorsque ce désir est trompé, la désillusion est dévastatrice. D'autant, dans le cas d'Armstrong, qu’il s’était investi dans une entreprise caritative de grande ampleur, grand bien lui fasse. Cela implique un système de pensée extrêmement complexe.
Dans une scène très dérangeante à l’hôpital, on peut voir que certains de ses fans le considèrent comme un sauveur et un bienfaiteur de l’humanité. C’est très ambigu. En Amérique, des gens ont donné son prénom à leurs enfants en son honneur. En Angleterre, il est détesté. Rien n’est simple.
Vous n’avez pas subi de manifestation d’hostilité de la part de ses fans ? Je peux voir que les choses évoluent. Il y a encore un an, il avait encore beaucoup de supporters qui avaient du mal à admettre l’évidence de sa duplicité. Mais aujourd’hui, il est généralement considéré comme un tricheur et un menteur. C’est particulièrement douloureux pour les Américains.
Il y a chez eux une forme de déni. Oui, et on peut se demander si lui-même a pris conscience de ce qu’il a fait, s’il a simplement compris la gravité de ses actes. Mais ça, c’est son problème, pas le mien.
A quel point a-t-il tout prémédité ? Il était très organisé, méticuleux. Ce que fait aujourd’hui l’équipe anglaise de cyclisme SKY s’inspire de ce qu’Armstrong a mis en place. Je ne veux pas laisser entendre qu’ils prennent des produits dopants, mais chez eux aussi, tout est programmé scientifiquement. Je crois que Michele Ferrari, le docteur italien (joué par Guillaume Canet dans le film), était sous contrat exclusif avec lui. Armstrong savait aussi qui il devait intimider, sur qui exercer son influence. C’était vraiment un très bon escroc, même s’il a commis des erreurs. Il était né pour être un bon arnaqueur.
Le titre (The Program) ne désigne donc pas seulement le régime de dopage prévu pour faire gagner Armstrong, mais toute sa stratégie, y compris sa communication… Il était totalement déterminé. Il avait connu des transformations physiques radicales à la suite de son cancer, et il savait qu’il avait besoin de retourner voir le docteur Ferrari pour maximiser son potentiel. Je ne peux pas dire qu’Armstrong avait en tête dès le début tout ce qu’il allait faire mais il est tombé dessus en chemin. Graduellement, il a vu apparaître devant ses yeux le schéma général d’une organisation presque sans faille, où tout était lié : la victoire, sa gloire personnelle, le dopage, sa fondation contre le cancer. Et l’argent. Il en a gagné beaucoup.
D’où lui vient cette ambition ? De son éducation ? Il semble que c’était profondément ancré dans sa personnalité dès l’enfance. Quand il était adolescent au Texas, l’impitoyable esprit de compétition et le besoin compulsif de gagner étaient déjà là.
Serait-ce un trait de caractère spécifiquement américain ? Ha ! Ha ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Les drogues impliquent une notion d’addiction, mais il était surtout accro au pouvoir, non ? Totalement. Il était accro à la victoire, au succès, aux hélicoptères etc.
Pour le reste, il semblait contrôler totalement l’effet des drogues. Oui. Ferrari était là pour s’en assurer. Il savait que si on les prenait selon certains protocoles bien établis, elles seraient indétectables.
Ce n’est pas la première fois que vous puisez vos sujets dans le réel. Qu'est-ce que vous y trouvez ? Ce n'est pas délibéré. Mais vous avez raison de remarquer que depuis une quinzaine d'années, la réalité s’est introduite dans mon travail, à l'improviste. C’est un peu décevant, d’ailleurs, parce que ça trahit un manque d’imagination. Mais on y trouve des histoires vraiment intéressantes. La vraie vie est devenue tellement bizarre, voire grotesque, qu’il est parfois difficile d’inventer des histoires comparables par la simple force de l’imagination.
Comment filme-t-on le Tour de France pour le cinéma ? C’est très difficile, sachant qu’il est réellement impossible de donner une idée de l’échelle de l’événement. Son ampleur est si considérable que je n’aurais jamais eu les moyens suffisants pour lui rendre justice. Franchement, même Spielberg ne le pourrait pas.
Quelles instructions avez-vous donné à Ben Foster pour incarner le personnage ? Je savais que Ben était un bon acteur, ce qui était nécessaire mais pas suffisant. Il fallait arriver à ce qu’il ressemble à un cycliste, qu’il pédale comme un professionnel, et ce processus a été long et difficile. L’entraînement et le régime alimentaire ont pris une importance effrayante. Là-dessus, je dois reconnaître que mon rôle a été très modeste.
Ben Foster : "Lance Armstrong, c'est Jésus Christ !"
Pourquoi avoir fait appel à Dustin Hoffman pour un cameo ?
Pour compléter le budget. Dustin est un héros. On devait tourner au Texas, et avoir son nom au générique nous a aidés à y aller.
Interview Gérard Delorme
The Program de Stephen Frears avec Ben Foster, Guillaume Canet, Chris O'Dowd sort le 16 septembre dans les salles.
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