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Bielinski joue à l'esthète, s'amuse avec nos nerfs et fait assaut de virtuosité : c'est ce qui fait sa force mais provoque aussi l'agacement. L'objectif est clair : créer un sentiment de trouble (...) Le film reste flou, inabouti et finalement frustrant (...) "El aura" en espagnol, c'est l'instant qui précède la crise d'épilepsie (...) Comme son film en somme, qui donne le vertige avant de nous laisser sur le carreau.
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- Fluctuat
L'inattendu et sympathique succès des Neuf Reines a crée une certaine attente autour du second film de Fabian Bielinsky. Il s'avère radicalement différent dans sa forme et son ambition mais conserve néanmoins un aspect ludique qui place le jeu de la manipulation au centre de son propos.
Taxidermiste épileptique que l'on devine solitaire, Esteban (Ricardo Darin) accepte l'invitation d'un confrère : une partie de chasse au milieu des forêts et montagnes de Patagonie. Sur place, ils sont contraints de s'isoler dans de modestes cabanons car la fermeture programmée du casino local est cause de grande affluence. Dans ce somptueux décor où les grands espaces sont mis à l'honneur par une caméra caressante, Bielinsky prend le temps de définir les lieux qui l'intéressent comme il avait su peindre Buenos Aires cinq ans auparavant dans Les Neufs reines: avec un indéniable talent et le désir d'inscrire toute action dans un milieu qui semble forcément la déterminer.Un loup des steppes
L'excellent Ricardo Darin compose un personnage dense, quasi-minéral, un homme au visage fermé, avare de mots, attentif à l'extrême et doué d'une mémoire prodigieuse. Une lettre nous laisse supposer que sa femme vient de le quitter. En se rompant, l'ultime lien qui le reliait au monde des hommes déclenche l'acte qui va l'engager vers une forme de réalisation personnelle. Peut-être une chance pour cet empailleur, loup des steppes mal apprivoisé, qui intériorise à défaut de s'exprimer et paraît plus proche des animaux morts dont il s'occupe avec respect que des vivants de son espèce. Ainsi, le chien dont il vient pourtant d'abattre le maître paraît le reconnaître comme l'un des leurs.L'action est toujours envisagée du point de vue d'Esteban. Son ambition se dessine progressivement, au gré de découvertes et événements qui sont autant de pièces d'un drôle de puzzle sur lesquels il éprouve sa sagacité. Il en ignore d'abord le motif principal, même si l'on pressent qu'il en porte déjà les germes : la réalisation parfaite d'un "coup" lui permettant d'utiliser ses prodigieuses capacités intellectuelles, de les tester "pour de vrai".
Dans ce milieu sauvage, sans attache, il va pouvoir se mettre à l'épreuve à plusieurs reprises, obligé qu'il est de réagir, comprendre, agencer pour garder un coup d'avance et donc le contrôle des opérations. Symboliquement, le fait qu'un casino, temple même du hasard, soit visé n'est pas anodin dans le défi que se lance cet impassible individu. L'intrusion de l'impondérable est en effet un des thèmes centraux de ce film et s'incarne ici dans l'élément humain : les autres, bien sûr, et lui-même. Car au-delà de ses prodigieuses aptitudes, cette ombre, qui semble vouloir s'effacer, se fondre dans le paysage et tout savoir en devenant invisible, est ramenée à sa condition humaine (ou animale) "grâce" à ses crises d'épilepsie, seulement prévisibles quelques secondes à l'avance. En toute connaissance de cause, il flirte donc en permanence avec ses limites, jouant tel Icare à s'approcher de son ardent trésor au risque se brûler les ailes.Un long surplace avant la crise
Talent de mise en scène intact, décors superbes qui ne phagocytent pas l'intrigue mais la nourrissent, il y a un côté Délivrance (John Boorman) dans cette réalisation au climat pesant qui se situe à la lisière de plusieurs genres (thriller, policier, film noir ou contemplatif...). Cependant, il y a un léger problème dans ce film ambitieux qui lorgne vers des contrées bien moins modestes que le précédant. Il réside dans les lenteurs qui alourdissent la fluidité virtuose du début. Aux deux tiers du récit, les longs nappages musicaux destinés à créer une ambiance pesante et hypnotique, à l'instar des compositions d'Angelo Badalamenti pour David Lynch, deviennent pénibles. Ils alourdissent plus qu'ils n'habillent un film qui s'essouffle et deviendrait presque prétentieux.
On comprend pourtant qu'il s'agit du parti pris assumé d'un réalisateur qui va au bout de son idée. « El aura » est le nom donné à l'instant "magique" qui précède la crise d'épilepsie. Magique car il procure un sentiment de liberté absolu occasionné par l'impossibilité d'agir d'une part, donc de prendre une décision ou de faire un choix, qui, combinée à une perception intense d'autre part, provoque un moment de grâce à la beauté inquiétante. C'est exactement ce que crée Bielinsky : un long surplace qui précède la crise. Un temps suspendu, où tout paraît s'agencer parfaitement, à la lumière de la perçante lucidité du héros, puis l'explosion incontrôlable où tout peut arriver.Son intention n'était pas de faire un film policier à rebondissement ou un thriller haletant. Il faut donc prendre le parti d'accepter ces temps morts, se laisser bercer par cette ambiance de flottement teintée d'irréel, pour accepter la beauté et l'intérêt de son film, qui par ailleurs, témoigne d'une réelle maîtrise. En somme, il faut jouer le jeu.El Aura
Un film de Fabian Bielinsky
Avec : Ricardo Darin, Dolorès Fonzi
Argentine, 2005 - 2h12
Sorties en France : 29 mars 2006[Illustrations : © Metropolitan FilmExport]
Sur Fluctuat :
- Compte-rendu du 18ème festival Cinéma d'Amérique latine à Toulouse
- Chronique des Neuf reinesSur le web :
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