Première
par Thomas Baurez
Après le dissonant Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, voici Jeanne. Toujours Charles Péguy, toujours Bruno Dumont et toujours Lise Leplat Prudhomme, 10 ans, dans le rôle de la pucelle d’Orléans, qui a bien grandi en deux ans. Sur les dunes du Nord battues par les vents, la guerre de Cent ans est montrée dans un parfait dépouillement. L’histoire est certes connue. Au cinéma peut-être plus qu’ailleurs. Le geste de Dumont est de coller au plus près à la prose de Péguy pour mieux la remodeler. Il a raison : sa Jeanne est pleine de grâce. De la grâce juvénile et pourtant pleine d’aplomb de sa jeune interprète tout en majesté. Autour d’elle, le cinéaste cherche des gueules et surtout des corps non déformés par un quelconque apprentissage. Chacun dit son texte avec une fragilité et des hésitations propres à désamorcer la pesanteur du texte. La caméra sonde l’Éternel, cherche la grandeur. Ainsi, un ciel gorgé de soleil éblouit et ramène les pauvres mortels à leur humaine condition. Idem à l’intérieur de la grandiose cathédrale où les corps tout petits ne font guère le poids. Et pourtant, ces corps, ou plutôt ces visages, se font bien entendre. C’est l’heure du procès en hérésie avec son arrière-fond politique et la disgrâce de Charles VII (Luchini en guest !). Les juges en habits de gala pérorent, complotent, s’interrogent. Il y en a un, dont on ne voit pas les traits cachés sous une capuche, mais dont la voix fluette et gracile trahit l’identité : c’est Christophe, le chanteur ici acteur, dont on entend à plusieurs reprises des chansons originales d’une puissance folle. Sublime !