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Recevant un Golden Globe pour son interprétation de Dick Cheney dans le nouveau film d’Adam McKay, Christian Bale a remercié Satan de l’avoir « inspiré pour préparer ce rôle » ! Il s’est même demandé si, après avoir incarné celui qui fut le vice-président des États-Unis de l’administration de George W. Bush, il ne pourrait pas s’attaquer à Mitch McConnell, l’actuel chef de la majorité au Sénat américain, « autre méchant sans charisme », précise-t-il. Dans un coin de la salle, Adam McKay, hilare, savoure la prose de son interprète qui vient de résumer en une saillie le caractère grinçant, satirique, ironique, outrancier et furieusement actuel de ce biopic sur l’une des têtes pensantes de l’administration Bush, celle qui s’est entre autres servi des attentats du 11 Septembre, pour (re)donner à l’Amérique son visage guerrier. Les plus jeunes ne se souviennent peut-être pas de ce numéro pathétique du secrétaire d’État Colin Powell, contraint par ses supérieurs de mentir devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 5 février 2003, arborant des preuves bidon censées prouver que Saddam Hussein, main dans la main avec Al-Qaida, s’apprêtait à détruire le monde. Ils apprécieront ici la prestation de Tyler Perry, plus vrai que nature. Homme de l’ombre, Cheney pensait que le rejeton Bush lui servirait de paravent ad vitam aeternam et qu’il pourrait, à 77 ans, couler des jours tranquilles malgré ses récurrentes crises cardiaques. Mais c’est justement ce cœur de fer et de pierre qu’Adam McKay met ici à nu, conscient que l’ironie peut triompher du cynisme.
RIRE OU NE PAS RIRE
McKay signe volontairement une comédie virevoltante, usant de tous les procédés possibles du genre (situations bouffonnes, dérision, interprétation à l’avenant, dialogues absurdes...), même les plus inattendus (comme ce faux générique de fin à mi-parcours). Et pourtant, devant cette comédie du pouvoir, le spectateur rit jaune, puisque ce qui peut apparaître bouffon, absurde, voire dérisoire, ne l’est bien sûr pas, tout au plus une extrapolation volontairement grossière du réel. Cet esprit démoniaque a en effet infusé la vie politique américaine pendant les deux mandats Bush, où plus c’était gros, plus ça passait. Le parallèle avec la situation actuelle de l’ère Trump, autre président marionnette considéré comme un benêt jusque chez ses proches collaborateurs, est bien sûr évident.
CRUEL ET GÉNIAL
Comme il l’avait fait avec son précédent film, The Big Short : le casse du siècle, autour de la crise dite des subprimes, Adam Mckay se veut avant tout didactique et le ton volontairement « la politique pour les nuls » lui sert à démontrer qu’en ce bas monde, les gens d’en haut compliquent les choses pour tromper le péquin moyen. Il suffirait alors de tout repasser sous le filtre simplificateur du cinéma pour rendre la chose limpide ? Pas si sûr. Il est ainsi curieux de voir que cette volonté de clarification passe par une mise en scène extrêmement complexe et alambiquée (ralentis, flash-back, arrêts sur image, voix off, fausses pistes, tartines de dialogues sibyllins...) singeant ainsi le monde du pouvoir qu’il dénonce. En cela, McKay est l’anti-Capra qui, lui, préférait s’accorder avec les petits (Mr Smith au Sénat, L’Homme de la rue...) et ainsi voir le monde à travers la pureté de leur regard. McKay n’est pas un exalté, il y a un fond de pessimisme dans cette façon presque suicidaire de choisir le destin de cet homme, ancien loser qui a dessiné sa trajectoire sur un renversement possible de valeurs, pour l’immortaliser en clown maléfique et tout-puissant. Un Satan aux dents longues tels ceux que Shakespeare savait si bien personnifier dans ses tragédies. Vice est un film cruel parce que génial. À moins que ce ne soit l’inverse.