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C’est quoi, un film hollywoodien ? La réponse à cette question varie en fonction de l’année où vous la posez. En 2024, on pourrait dire que Wicked est la meilleure réponse à cette question -et ce, même si le film a été tourné en Angleterre, dans les studios londoniens d’Elstree, par un metteur en scène américain né de parents chinois. On va dire que ce n’est pas une question de lieu, mais plutôt bien de mélange : comme l’expérience américaine se voit comme un grand melting pot, le film Wicked lui-même est à l’image de ce grand creuset où tout s’accumule à l’écran dans un grand spectacle à 300 millions de dollars. Une comédie musicale de Broadway de 2003 adaptée d’un livre de 1995, tournée vingt ans plus tard comme si un film d’Harry Potter était un épisode du Marvel Cinematic Universe… Le film, qui dure 2h40 (et ce n’est que l’Acte I) joue clairement cette carte de l’empilement. Nous sommes avant les évènements du Magicien d’Oz, quand Elphaba, une jeune femme à la peau verte arrive dans une université magique où les profs sont des animaux qui parlent. Elle va se lier d’amitié avec son antithèse, une jeune femme blonde, rose et populaire, tandis que du fond de la citadelle d’Emerald City, un complot politique pointe son nez. Et le tout articulé à l’aide de chansons démentes, depuis longtemps passées dans le répertoire classique de Broadway -et donc dans le melting pot hollywoodien.
L’initiation d’Elphaba est mise en parallèle avec un drame politique bien sombre : la mise au pas des animaux parlants du monde d’Oz, victimes d’une véritable campagne de haine, virés de l’université et coupables d’enseigner une vision du monde qui ne colle pas avec la doxa gouvernementale. Ça vous rappelle quelque chose ? Ben oui, on dirait bien que la culture war de Wicked version cinéma résonne exactement avec notre époque. Mais ce n’est pas une façon de signifier que le Wicked de 2003 (ou bien le roman de 1995) était visionnaire, mais plutôt que les temps ont moins changé que ça en vingt ans (ou en trente).
De toutes façons, en bon film hollywoodien sui generis, Wicked entend d’abord vous divertir de la manière la plus innocente et la plus efficace possible : là, rien à dire, le contrat est rempli et Wicked nous entraîne dans un monde de fantasy tourbillonnant qui veut vraiment vous en donner pour votre pognon. Grâce au duo composé par Cynthia Erivo et Ariana Grande (qui compose sa Glinda comme une mean girl danseuse de lap dance, cousine féérique d’Anora Mikheeva), absolument impeccable d’alchimie musicale, et à l’énergie friquée qui emporte le tout.
On pourra regretter que Jeff Goldlbum en Magicien fasse vraiment trop du Jeff Goldblum paresseux, démarche flottante et diction hachée cliché à gogo, ou que les allergiques aux fonds verts et roses feraient mieux de s’abstenir de tout contact visuel ; ce qui compte, c’est que Chu ait réussi comme pour In the Heights (son précédent musical adapté de Lin-Manuel Miranda) à faire de l’expérience Broadway le synonyme définitif de l’expérience hollywoodienne. Vous nous direz à juste titre que Broadway a été fondé avant Hollywood. Bien sûr, mais ça, c’est une autre histoire qu’on se garde pour Wicked - Acte II, pour novembre 2025.