Le réalisateur de Nocturama répond aux questions qui fâchent sur son brûlot révolutionnaire.
C’est le film dont tout le monde parle cette semaine. En mettant en scène une bande de jeunes révolutionnaires (et non pas intégristes) qui pose des bombes dans Paris, Nocturama prend le risque d’attiser les débats sécuritaires et idéologiques qui empoisonnent la France depuis un an – et particulièrement cet été.
Première a vu et aimé Nocturama, « un film qui ne tracte pas et ne justifie rien, un pur geste artistique, visionnaire, hanté par un futur imminent qu’il contemple avec courage. » Il pose cependant question quant à sa nature et à son discours dans le contexte présent. Nous sommes donc allés à la rencontre de Bertrand Bonello pour qu’il s’explique sur certains points précis. Le réalisateur s’est employé -avec brio- à dissiper les malentendus potentiels.
Quoi qu’on pense de Nocturama, que nous aimons beaucoup à Première pour son côté romanesque, rock, poétique et mélancolique, il est difficile de ne pas le rattacher à l’actualité. Que répondez-vous à ceux qui trouvent que c’est un film dont le positionnement est dangereux ou dont l’interprétation peut être dangereuse ?
J’ai entendu ça quelquefois, mais quand on demande aux gens de développer, ça coince. À quel endroit serait-il dangereux selon vous ?
Vous êtes un enfant de 1968, vous l’avez beaucoup dit, et l’héritier, en quelque sorte, d’une pensée anarchiste et révolutionnaire…
(coupant) Héritant, justement, de 68, sans l’avoir vécu, s’est posée pour ma génération la question du collectif qui n’existait plus. Quand j’avais 18 ans, en 1986, l’individualisme régnait. C’était à la fois perturbant et frustrant.
Ce que je voulais dire, c’est que les groupuscules révolutionnaires des années 70 se positionnaient déjà contre le capitalisme et l’ultralibéralisme…
(re-coupant) À l’époque, les lignes idéologiques étaient très claires. Plus claires qu’aujourd’hui.
Vous admettez que le film s’inscrit dans le même genre de protestation ?
Certes. Il ne s’inscrit évidemment pas dans la barbarie de Daesh. Il est beaucoup plus dans la lignée d’une pensée insurrectionnelle, dans une histoire de l’insurrection, qui existe depuis des siècles.
Finalement, à l’origine, le film partait d’un bon sentiment.
(il sourit) Le terme est un peu réducteur, mais il y a de ça… Il part d’un ressenti d’étouffement qui pousse, à un moment donné, à dire stop. Cela se transforme en désir, sinon d’insurrection, de révolte qui est, quelque part assez sain.
Quand, cependant, vous situez l’action dans la France de Valls et que vous faites dire à Adèle Haenel, « ça devait péter », vous faites un amalgame qu’on peut juger très ambigu. Ce genre de discours est-il audible aujourd’hui ?
Citer Valls, comme montrer le bâtiment d’HSBC ou des stations de métro, participe d’une envie d’ancrer le film dans une réalité très contemporaine. J’aurais pu inventer des noms ou des sigles, mais j’ai préféré assumer. Je voulais que Nocturama soit un mélange d’hyperréalisme, d’abstraction et de fantasmagorie.
Il n’empêche : cet ancrage dont vous parlez va dans le sens d’un discours anti Valls répandu, concernant des mesures et un état jugés liberticides.
Le film ne vise pas de gouvernement en particulier même si je ne peux pas nier qu’on est tous habités ces derniers temps par un sentiment d’oppression - mes jeunes acteurs les premiers. Mais la situation actuelle n’est objectivement pas qu’imputable au gouvernement en place ; elle découle de courbes économiques défavorables et de fractures multiples dans la société qui ne datent pas d’hier.
De même, le film condamne unilatéralement les violences policières –qu’on a notamment pu observer pendant Nuit Debout…
(coupant) C’est-à-dire ? À la fin du film ?
Oui.
Le film ne prend pas parti pour un camp ou pour un autre. Si je comprends ces gamins, leur trajet, leurs comportements, je ne dis pas que je les approuve. Face à ça, je comprends aussi que la police doive mettre fin à l’action en cours.
On a tendance à être en empathie avec les jeunes, pas avec les policiers.
C’est un choix de récit d’être toujours de leur point de vue. J’aurais pu, si j’avais voulu un peu me « protéger », casser ma logique de mise en scène et faire un montage parallèle sur le chef du commando expliquant sa stratégie. Ce que l’on sait, c’est ce que les jeunes savent ; ce que l’on voit, c’est ce qu’ils voient. Je pense que mes choix de mise en scène tirent en définitive plus le film vers le genre que vers le discours.
Tous vos principes de mise en scène, toutes vos intentions ne se retournent-ils pas contre eux-mêmes face à l’extrême complexité du réel qu’on vit ?
Un principe de mise en scène ne peut pas se retourner contre un film, me semble-t-il. Ca peut juste faire qu’on n’aime pas le film. Perdre le point de vue, chercher à plaire à tout le monde, ça, oui, c’est contre-productif.
Assumez-vous une forme de naïveté politique qu’incarne votre groupe de jeunes gens ?
Il ne faut pas confondre mon discours et le leur. J’assume le discours qu’on peut tenir entre 15 et 22 ans, qui représente la tranche d’âge du groupe.
Cette France black-blanc-beur que le groupe incarne n’appartient-elle pas au passé ? C’est une utopie qui semble hélas avoir vécu.
J’estime que des jeunes habitant la même ville ont la possibilité de se parler et de se retrouver sur quelque chose. Ce n’est pas un concept black-blanc-beur. On arrive à un moment où si on ne met pas un noir dans un film, on ne représente pas la France, et si on en met un, on fait « United Colors of Benetton ». Le politiquement correct enlève toutes formes de possibilités. L’idée, encore une fois, était de montrer un étouffement qui touche toutes les couches de la population.
Ne faites-vous pas trop confiance à l’intelligence du spectateur ? Le cinéma, c’est avant tout de l’empathie et de l’émotion.
Je fais entièrement confiance à la capacité de ressenti du spectateur. J’ai une immense foi dans la fiction.
Ne pensez-vous pas qu’un jeune spectateur, qui vient peut-être de banlieue et qui est peut-être mal dans ses baskets, risque de mal interpréter le film ?
On a pu observer que, sur les quelques avant-premières publiques qu’on a faites, ce sont les jeunes qui comprennent le mieux le film. Il y a comme une évidence pour eux. Ils n’établissent pas de parallèle, contrairement à des spectateurs un peu plus âgés. Sans cautionner le passage à l’acte, ils comprennent le ras-le-bol des personnages. On ne leur parle que d’impossibilités depuis qu’ils sont nés…
Vous avez dit à l’un de nos collaborateurs : « je n’aurais pas fait le film de la même manière si je l’avais conçu après les attentats du 13 novembre 2015 ».
J’ai écrit le film vers 2010-2011.
Mais les attentats en France sont exponentiels depuis Mohamed Merah, en 2012. C’est quelque chose dont vous auriez pu tenir compte au cours des quatre dernières années.
Vous savez, il existe des attentats massifs dans le monde depuis 2001… Ne me situant pas du tout dans le contexte islamiste, je n’avais pas à en tenir compte spécialement. Le film ne véhicule aucune idéologie barbare et liberticide. Ce que je tente de montrer, c’est une forme d’ambiguïté qui est le reflet de l’ambiguïté du monde dans lequel on vit. On me demande de tout décrypter, alors qu’on n’est pas capable de décrypter ce qui se passe au dehors.
Quand vous dites que vous l’auriez fait différemment…
(coupant) Ca ne me ressemble pas d’avoir dit ça… Après le 13 novembre, je disposais d’un premier montage sur lequel on s’est interrogés et, très vite, on a conclu qu’il ne fallait rien changer. Excepté le titre (Paris est une fête, ndlr) qui établissait pour le coup des liens qui n’existaient pas. Et je ne voulais surtout pas qu’on puisse penser qu’il y ait la moindre idée de récupération. Nocturama est un titre qui nous amène encore plus vers la fiction.
Avez-vous craint que la sortie soit annulée, comme c’est arrivé pour d’autres films sensibles cette année ?
Jamais. Les retours des exploitants sont plutôt bons et quand ils le sont moins, c’est purement pour des questions de cinéma, de longueur par exemple. Tout le monde a conscience que le film effraie plus ceux qui ne l’ont pas vu que ceux qui l’ont vu.
S’il ne fait pas peur une fois qu’on l’a vu, pourquoi n’a-t-il pas été pris à Cannes ?
Il faut demander aux sélectionneurs. Je vois bien, avec la presse, que certaines personnes ont besoin de temps pour digérer le film, pour savoir quoi en penser. Je trouve ça sain de prendre ce temps. À Cannes, ils n’en ont pas assez.
Est-ce que l'art peut encore avoir une fonction de révolte et de clivage dans un pays qui cherche d'abord à s'unifier ?
Je le souhaite de tout mon cœur, même si je ne pense pas qu’un film puisse cliver la société comme un projet de loi, par exemple. Par ailleurs, le débat n’empêche pas le rassemblement, bien au contraire.
Pensez-vous qu’un mouvement comme Nuit Debout puisse s’emparer du film et l’accompagnerez-vous le cas échéant ?
Je n’ai pas de message à faire passer. Si le film alimente le débat sur pouvoir et contre-pouvoir, pourquoi pas, mais je n’y participerai pas. @chris_narbonne
La bande-annonce de Nocturama
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