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Une femme douce tourne en spirale dans la Russie cabossée des petites villes et des petites gens, jusqu’à la bascule dans une boîte à fantasme.

Longtemps, très longtemps, on suit une femme silencieuse, inerte, témoin quasi muet ballotée dans une virée carnavalesque sidérante au fin fond d’une Russie faussement naturaliste. On lui a retourné le colis de bouffe et de vêtements qu’elle avait envoyé à son mari en taule. Elle voudrait comprendre, mais personne ne se donne la peine de lui répondre. « Contraire au règlement ». « Faites une réclamation ». « Je ne suis pas un service de renseignement ». « Vous pensez peut-être que vous êtes la seule à avoir des problèmes ? » Dans un bus, à la poste, dans un panier à salade, dans un hall de gare, dans un bar glauque, dans un commissariat, dans une réunion de freaks slaves ivres morts jouant à se foutre à poil, notre héroïne se tait, observe, subit, abusée par tous ceux qui l’entourent, l’ignorent, l’insultent, la menacent, hurlent ou lui font pipi dessus. Sergei Loznitsa est ici à la frontière habituelle de son style : là où vrai-faux naturalisme et documentaire mental (documental ?) débouchent sur ce que les alcoolos russes appellent leur « âme », cet endroit au-delà de l’absurde, de l’ivresse et de la raison, au-delà du réel. La femme douce ne bouge pas, ni ne cède, ni ne rompt, dans l’œil d’une toupie qui dessine les cercles d’un Enfer très russe (traces de Gogol ou Dostoievski, impact récent de Svletana Alexievitch) mais doit aussi beaucoup à Kafka revu par David Lynch. Lorsque la jeune femme se retrouve embarquée en carrosse dans un banquet XIXème siècle, où tous les personnages du film se lancent un à un dans des toasts en l’honneur de la Russie éternelle et de l’humanité,  alors on sait que la ronde vertigineuse des deux derniers siècles du « grand pays » a fini par l’emporter, sans espoir de retour. Car si la femme est douce, la folie russe, elle, est furieuse.