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Elle était déjà là, dans le cinéma français, avant ce film de Louis Malle, mais son premier éclat, c’est bien cet Ascenseur pour l’échafaud. Une note de trompette (celle de Miles), une rupture de style, de tempo et d'esthétique dans le vieux cinéma hexagonal. Et cette rupture fut portée par sa beauté étrange (plus proche de Bette Davis que de Marilyn). Jeanne Moreau trouve avec Florence son vrai premier rôle iconique. On se souvient à jamais de cette scène incroyable, sommet de sa filmographie. Florence se demande si son amant a réussi à mettre en œuvre leur plan machiavélique (tuer son mari richissime) ou s’il l’a simplement abandonnée. Elle déambule alors dans Paris et sa fierté, sa morgue très moderne, laisse place à l’angoisse et au désespoir, le tout capturé par le monochrome de Decae… Sublime. 

Deux ans après Et Dieu créa la femme et la naissance du mythe Bardot, Jeanne Moreau s’affirme ici comme l’autre corps scandaleux de la proto-Nouvelle Vague. Louis Malle choque le bourgeois avec ce vaudeville chic qui célèbre les joies du sexe et de l’adultère. Les ligues de vertu s’étouffent, les puritains et les censeurs s’interrogent sur la supposée pornographie du film… Revu aujourd’hui, tout ça ne paraît pas bien méchant, mais à l’époque, Les Amants était un brûlot, un vrai. C’est surtout le film qui fixe la légende de Jeanne Moreau, ce personnage de rebelle sophistiquée, sexy et incendiaire qu’elle va décliner tout au long des sixties.

Chronique d'un couple qui se déchire et se perd : Jeanne Moreau agit en contrepoint de Marcello Mastroianni, dans un film tout en oppositions (homme/femme, mari/épouse, nuit/jour, dialogue/silence), pour finalement mieux se retrouver. Presqu'imperceptiblement, Moreau trouve dans le film d'Antonioni un visage plus dur et plus mature, de femme et non plus de poupée.

Il y a d’abord ce beau titre qui cache le seul personnage féminin du triangle amoureux, le pilier central de cette love story très (trop ?) littéraire. Il y a surtout le tropisme romantique de Truffaut qui adapte ici de manière très (trop ?) lyrique l’autobiographie de Henri-Pierre Roché. Ce que Truffaut cherchait c’était un matériau qui puisse exprimer sa sensibilité enflammée. Jules et Jim met en scène la rage d'aimer d'une femme libre décidée à « inventer l'amour ». Et malgré le pointillisme exacerbé, la raideur parfois compassée de la mise en scène, l’actrice réussit à faire passer l’émotion pure.  Truffaut la surnommait "la plus grande amoureuse du cinéma français" et elle dope effectivement son cinéma aux plaisirs de la vie. Spontanée, iconoclaste, capricieuse, et libre… Moreau refuse d’être comprise ou cohérente, et valse entre l’affection et la cruauté, entre Jules et Jim, dans ce rôle de diva grave et gourmande, frivole et sérieuse. Sans doute pas le meilleur Truffaut. Mais peut-être l’un de ses rôles les plus riches.

Comme si la France était un terrain de jeu trop petit pour elle… Après avoir accompagné la nouvelle vague, Jeanne Moreau flirte avec le free cinéma, les enragés yankee (Ritt et Foreman) ainsi que Welles ou comme ici, Joseph Losey. Le bouquin de Chase racontait la folle passion d'un flic de L.A pour une prostituée. Losey remanie tout ça et transforme Eve en femme fatale française, demi-mondaine qui déteste et manipule les hommes pour assouvir sa soif d'or. Ce n’est plus un flic, mais un écrivain gallois, perdu à Venise, qui en fera les frais... La sensualité vénéneuse de sa Jeanne fatale (qui ne se déshabille que lorsqu'elle entend Billie chanter) reste la plus grande force d'un film dont le style très 60s a un peu vieilli. L'abattage faux-dur de Stanley Baker (paumé dans d'incroyables errances freudiennes), l'illustration musicale de Michel Legrand et la mise en scène sophistiquée et glacée de Losey n’abîme jamais la puissance de feu de Jeanne Moreau, au sommet de sa beauté blonde platine

Au départ, Jackie (Jeanne Moreau) est la femme fatale dont le héros, accro au jeu, tombe amoureux ; mais Jacques Demy, incurable romantique, ne voit pas dans l'amour (et donc dans Jeanne Moreau) un simple avatar de la luxure : c'est l'amour qui finira par être vainqueur de toutes les vicissitudes, et Moreau, teinte en blond platine (encore !), affirme en même temps sa liberté d'agir et de séduire.

Après s’être ennuyée du côté de Dijon (dans Les Amants, 1958) et en attendant de se morfondre en Corrèze (dans Mademoiselle de Tony Richardson, 1966), Jeanne Moreau débarque dans la Normandie des années 30 pour poursuivre son exploration des désirs étouffés de la province française. Deuxième adaptation du roman d’Octave Mirbeau (22 ans après celle de Jean Renoir et 51 ans avant celle de Benoît Jacquot), filmée par un Buñuel presque straight (presque, hein), le film raconte l’enfer de Célestine, une soubrette prise en tenaille entre la bassesse morale de ses employeurs et l’orage fasciste qui gronde au loin. Un festival d’humour amer et d’érotisme narquois.

VF des Hommes préfèrent les blondes avec Bardot dans le rôle de Marilyn et Moreau dans celui de Jane Russel. Un western musical de Malle qui prendrait Vera Cruz comme modèle et tirerait sur toutes les institutions encore vivaces quelques années avant 68 (l’Eglise, la bourgeoisie morale, l’armée…). Bon… Malle rate son mélange WTF de Minelli et Hawks, mais le duo BB / Moreau fait des étincelles et Moreau se révèle chanteuse extra surtout dans la scène de pure comédie vaudeville qui se finit en french cancan… 

Son troisième film avec Truffaut – après une apparition dans Les 400 Coups et le triomphe de Jules et Jim. Un poème mortifère et glaçant, d’après William Irish, dans lequel l’actrice, brune, élimine un à un les cinq hommes responsables de la mort de son mari (Michel Bouquet, Claude Rich, Charles Denner, Michael Lonsdale, Jean-Claude Brialy – belle brochette). Un Truffaut mal aimé, rarement cité, désavoué par son auteur, mais pourtant suprêmement divertissant, et qui inspirera Kill Bill à Tarantino (même si celui-ci affirme pourtant ne jamais l’avoir vu).

Les Amants, Jules et Jim, Nikita… retour sur les grands rôles de Jeanne Moreau.

Âgée de 89 ans, Jeanne Moreau nous a quitté ce lundi 31 juillet. En hommage à la carrière de l’une des plus grandes actrices françaises, Première revient sur dix longs-métrages qui ont marqué sa carrière.