Eric Le Bot, le patron d’Art House, distributeur de cette comédie nippone façon une semaine sans fin, revient sur la stratégie de sortie de ce film, dont la carrière a joliment démarré mercredi.
Qu’est ce qui vous a donné envie de distribuer Comme un lundi, cette comédie de bureau dans laquelle des employés d’une agence de pub japonaise se retrouvent à revivre indéfiniment la même semaine ?
Eric Le Bot : Sa qualité d’écriture, sa capacité à faire rire autant qu’il émeut… Mais aussi ce qui a tout de suite fait tilt chez nous : son côté méta à travers ce concept de la semaine de travail qui se répète à l'infini et nous a parlé à nous chez Art House, comme elle peut parler à tous, qu’on soit patron, cadre ou employé. Car ce concept fait écho à nos vies professionnelles. Sous couvert de fiction, le film parle en effet de l’aspect répétitif que peut avoir le travail et de la manière dont certains s’en aperçoivent plus vite que d’autres, avant de tenter de se sortir d’un cercle devenu infernal. En cela, Comme un lundi ne s’inscrit pas dans le cinéma de science- fiction ou d’anticipation. On n’est pas dans l’irrationalité pure...
Le film a tout de suite résonné chez moi, patron d’une petite boîte de 7 personnes qui me pose en permanence ce type de questions- là. Et pour pousser encore plus loin l’analogie avec Art House, le lundi est un jour crucial pour tous les distributeurs ! Celui où se décident la répartition des films sur les écrans pour le mercredi qui suit, le jour de leur sortie. Un lundi qui se répète à l’infini pour les programmateurs car ils appellent et posent les mêmes questions aux mêmes exploitants… C’est d’ailleurs en clin d’œil à cela qu’on avait projeté, en septembre dernier, au congrès des exploitants, une vidéo parodique reprenant un extrait de Comme un lundi en le sous- titrant avec des dialogues faisant référence à ce qu’eux et nous vivent tous les lundis et l’aspect répétitif apparent de notre line- up, réunissant principalement des films japonais (cf ci- dessous)
Comment est né ce tropisme japonais chez vous ?
Étudiant, j’avais participé à un programme d’échange avec le Japon qui m’avait permis de passer six mois à Tokyo. Et c’est en revenant que je me suis mis à regarder des films japonais, pour combler la frustration de ne pas avoir pu le faire sur place à cause de la barrière de la langue !
Comment s’est construit la stratégie marketing de Comme un lundi ?
On a choisi de miser quasi uniquement sur l’aspect comédie du film, à la différence de La Famille Asada où on avait joué sur la double identité du film. On s’est appuyé pour cela sur la réception du film lors des Saisons Hanabi, un festival de cinéma japonais qu’on organise depuis 2019. Cette manifestation nous permet d’évaluer concrètement le potentiel de chaque film en s’appuyant à la fois sur l’envie des spectateurs (la vitesse à laquelle les salles se remplissent lors des réservations) et leurs réactions lors des projections. C’est l’enthousiasme qu’on avait perçu autour de Comme un lundi qui nous a, par exemple, incité à investir dans des affiches 4x3 dans le métro, ce qu’on ne fait pas à tous nos films
Comment s’effectue chez Art House le processus de décision qui conduit à distribuer un film ?
Nous avons une très grande diversité de propositions car le cinéma japonais n’a rien de monocolore, allant de l’animation au thriller en passant par la comédie et le cinéma d’auteur. Et pour construire notre line- up, il y a parfois des évidences pour moi comme My sunshine de Hiroshi Yokohama, sélectionné cette année à Un Certain Regard, où j’ai fait directement une proposition sans échanger avec le reste de l’équipe. Mais quand je doute, là, je me nourris vraiment des avis des autres, des accords et désaccord avec mon point de vue
Que représente une sélection cannoise pour une société comme Art House ?
On n’a pas été si souvent à Cannes ! Nos films sont davantage passés par Venise ces dernières années. Cette sélection représente une sorte de consécration. Pour le film comme pour nous. Et un tremplin pour sa sortie prévue aujourd’hui pour le 24 décembre comme pour la reconnaissance de son auteur. Cannes constitue accélérateur de particules, même quand on ne se retrouve pas en compétition.
Est-ce qu’un film a changé la donne dans la vie de votre société créée en 2018 ?
Sans aucun doute le succès de La Famille Asada, tant dans nos échanges avec nos interlocuteurs japonais que français.
Placer et maintenir vos films en salles est plus simple depuis ?
Les rapports sont plus fluides mais, pour rester dans la thématique de Comme un lundi, c’est un éternel recommencement puisqu’énormément de paramètres rentrent en jeu et font qu’aucune sortie ne ressemble à une autre. Ca reste un combat. Comme un lundi en symbolise d’ailleurs un parfait exemple. Un type de comédie qu’on n’avait jamais vraiment proposé et où on espère attirer un public un peu plus jeune tout en ayant conscience de la difficulté d'élargir le prisme de ce que de ce que les gens attendent. Mais je le répète, c’est notre but, ce qui explique qu’on distribue aussi bien La Famille Asada que le documentaire Professeur Yamamoto part à la retraite.
Est- ce que vous vous limitez en nombre de sorties annuelles ?
On se limite volontairement à 7 ou 8 films par an pour bien s’en occuper mais aussi pour ne lasser ni les exploitants, ni les spectateurs
Vous sortez cet été (le 3 juillet) un film d’animation, Pompo the cinephile. L’enchaînement championnat d’Europe de foot- Jeux Olympiques à Paris ne vous a pas fait hésiter ?
J’ai très tôt souhaité qu’on propose quelque chose. Un film de bouche à oreille qui pourrait arriver à trouver sa place dans un marché qui risque en effet d’être un peu chaotique. Un film qui peut s’installer sur longueur. Et je crois qu’à son échelle, Pompo the cinephile a cela en lui
Comment envisagez- vous l’avenir d’Arthouse ?
Je résonne à un horizon assez lointain. Mon envie, ma volonté est que le cinéma japonais puisse avoir un jour la même aura que le cinéma hollywoodien. Qu’on en connaisse aussi bien les acteurs, par exemple. Sachant que pour l’instant, il ne représente que 2% des entrées annuelles en France, environ. La route est longue donc mais passionnante !
Comme un lundi. De Ryo Takebayashi. Avec Akemi Yoshikiwa, Shigeru Nagahisa, Ken Murata… Durée : 1h23. Sorti le 8 mai 2024
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