Manuel Alduy : "Shoah est une expérience douloureuse, mais qu’il faut vivre"

Mardi 30 janvier, France 2 diffuse en intégralité Shoah de Claude Lanzmann. Entretien avec le directeur du Cinéma et des Fictions Numérique et Internationale de la chaîne publique.

Depuis sa sortie en 1985, Shoah de Claude Lanzmann reste une référence tant sur plan du cinéma que de son sujet : l’extermination des juifs par les nazis durant la Seconde Guerre Mondiale. Par sa durée monstre, près de 10 heures, et son refus de l’archive, le geste mémoriel de Claude Lanzmann s’inscrit dans le présent des témoignages. La réalisation de Shoah a nécessité plus de dix ans de travail.

Quelques jours après la journée du 27 janvier, date anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, France 2 va diffuser en intégralité le chef d'oeuvre de Claude Lanzmann. Manuel Alduy responsable du cinéma de la chaîne publique nous explique ce choix.

Qui a eu l’idée de la programmation exceptionnelle de Shoah de Claude Lanzmann en intégralité, soit près de 10 heures ?

Alexandre Kara, le directeur de l’information de France Télévisions. Cette idée s’inscrit dans une grande réflexion autour des différents anniversaires liés à la Seconde Guerre Mondiale. En 2024 et 2025, seront notamment célébrés les 80 ans de la libération de Paris, de la France et des camps de concentration… A cela s’ajoute, une urgence très actuelle avec la montée de l’antisémitisme depuis l’automne dernier et l’attaque du Hamas en Israël. On note une excitation violente de certains débats politiques... Nous avons cherché la meilleure façon d’informer, de rappeler certains faits historiques. Le cinéma a cette formidable capacité de transmission et Shoah de Claude Lanzmann est une œuvre documentaire fondamentale. Sa diffusion en intégralité nous a paru aussi logique qu’essentielle.

Sa diffusion débutera donc autour de 21 heures et se poursuivra jusqu’au petit matin...

France 2 est la chaîne principale du groupe, c’est là que se concentrent les grands évènements. A France Télévisons nous utilisons fréquemment le cinéma comme support aux débats de société. La diffusion de Shoah est certes exceptionnelle par sa durée mais la programmation d’une soirée sociétale de cette nature l’est moins… A noter que la chaîne Arte l’avait déjà programmé en intégralité deux jours après le décès de Claude Lanzmann en juillet 2018.

Une éditorialisation spécifique autour de cette diffusion est-elle prévue ?

Nos collègues de l’information et les différentes rédactions vont en effet la relayer afin de présenter au mieux ce documentaire. Le journal de 20h qui précédera la diffusion s’en fera bien sûr l’écho. Le film sera ensuite disponible gratuitement sur le site de la chaîne durant un mois.

Comment imaginez-vous la façon dont les spectateurs vont s’emparer de ce moment de télévision ?

On espère qu’ils seront saisis par la force des témoignages. Shoah est une succession de confessions que Claude Lanzmann a inscrit dans un temps narratif volontairement très long afin que l’histoire avec un grand H se révèle dans toute sa vérité. Le film est saisissant, et ce, quelque que soit le moment où l’on entre dedans. Il happe immédiatement notre attention. Il n’y a que la télévision dite linéaire par opposition aux programmes à la demande et aux plateformes, qui permette de l’imposer aux téléspectateurs. Cette œuvre, il faut, en effet, la poser dans une grille et espérer que le public s’en empare. Shoah est une expérience certes douloureuse, mais une expérience qu’il faut vivre. Ce film n’est pas à prendre à la légère, il faut l’aborder comme il a été conçu. Ensuite, libre à chacun d’y entrer comme il l’entend.

Qu’est-ce qui fait, selon vous, de Shoah une œuvre exceptionnelle ? 

Le film n’est composé que de témoignages, il n’y a pas d’images d’archive ou reconstituées... On y voit principalement des rescapés mais aussi des bourreaux, qui s’expriment sur la longueur... La façon dont Claude Lanzmann les interroge et libère leur parole donne une vérité implacable au propos. Dans un monde comme le nôtre saturé d’images où l’intelligence artificielle risque de prendre de plus en plus d’ampleur, où pullulent les deepfake, ce film par sa nature même est un retour aux sources de la vérité historique. Il est difficile de rester insensible. Shoah remet les choses à hauteur de l’humain. C’est authentique, factuelle, le film abolit la distance qui peut exister vis-à-vis de certains sujets si pesants. Avec cette programmation nous essayons de remettre les spectateurs au plus près de cette réalité. Shoah pousse l’exercice de vérité très loin.

Shoah de Claude Lanzmann, diffusé en intégralité sur France 2, à partir de 21h le mardi 30 janvier.