Rencontre avec l'acteur de Cartel, rediffusé ce dimanche sur TF1.
Fin 2013, Première posait quelques questions à Michael Fassbender, alors à l'affiche de Cartel, le thriller de Ridley Scott dont il partage l'affiche avec Brad Pitt, Javier Bardem, Penelope Cruz et Cameron Diaz. A l'occasion de la programmation du film ce dimanche à 23h55, nous repartageons cet entretien.
Première : Bonjour Michael (Il bâille.)
Pardon. J’arrive de Toronto, où on présentait 12 Years a Slave (le nouveau film de Steve McQueen), et c’est un peu speed, là. Vous avez aimé Cartel ?
Je ne sais pas trop. Je n’ai pas tout compris. il y a beaucoup de dialogues, c’est très dense, et sans sous-titres, franchement...
Je comprends. C’est le style de Cormac McCarthy (l’auteur de “La Route”, qui a écrit le scénario). Quand vous irez revoir le film – car il faut que vous le revoyiez –, vous allez adorer. Les dialogues sont vraiment incroyables. Ils transportent Cartel dans une autre dimension. Pour un acteur, c’est formidable à jouer.
Justement, comme je ne comprenais pas grand-chose, je me suis concentré sur le jeu et je me suis rendu compte que, à part dans les films de Steve McQueen (“Hunger” et “Shame”), c’est la première fois que vous tenez un rôle principal en solo.
C’était aussi le cas dans Centurion (Neill Marshall, 2010).
Ah, celui-là, je l’ai raté.
Pas grave. Continuez de le rater...
À ce point ?
Pire que ça. Mais pour en revenir à Cartel, je n’ai jamais vraiment réfléchi à ce que vous me dites. J’ai le rôle-titre, pourtant, j’ai l’impression qu’il s’agit quand même d’un film choral. Ce qui m’intéressait, c’était précisément que le héros soit un genre de passager, un homme qui se laisse guider par le destin, porter par les événements. Le moteur de Cartel, c’est la manière dont ce mec réagit – ou plus souvent ne réagit pas – à ce qui lui arrive et l’interaction qui se crée justement entre lui et ceux qui l’entourent.
Ce que je voulais dire, c’est que vous avez quand même atteint une certaine notoriété à Hollywood, sans pour autant franchir le cap du premier rôle. Comme si cette idée vous avait effrayé et que vous l’aviez repoussée jusqu’à présent.
Pas vraiment. Je ne me pose pas ce genre de questions. J’essaie de trouver le bon scénario au bon moment. Je n’ai pas vraiment de plan de carrière. Par exemple, quand j’ai décidé de faire X-Men, ce n’était pas spécialement pour tourner dans une grosse production hollywoodienne. Je sais évidemment qu’il faut en passer par là et j’en avais envie, mais j’attendais le bon projet. J’ai refusé pas mal de trucs avant.
Quels genres de « trucs » ?
Je ne donnerai pas de titres, mais c’était des choses que j’avais déjà vues cent fois, des scripts où on sentait la formule à des kilomètres. Je fais ce métier pour jouer dans des histoires ou pour interpréter des rôles provocants et inédits. J’ai besoin d’avoir un matériau de départ qui me stimule parce qu’après, le travail est souvent très laborieux.
Concrètement, ça se passe comment ?
D’abord, je construis la biographie du personnage. D’où vient-il ? Que s’est-il passé dans sa vie ? Puis je me demande quelles sont les caractéristiques qui le définissent, j’en fais une liste et je choisis celles que je vais garder et celles que je vais abandonner. Après, c’est de la cuisine interne.
C’est-à-dire ?
J’effectue toujours un gros travail sur la voix de mes personnages. Pour Cartel, j’ai écouté des cassettes de Sam Shepard. Des livres audio, des pièces. Je voulais choper un accent californien un peu traînant et coloré.
Vous parlez d’accent mais vos performances sont surtout très physiques et votre allure définit en grande partie vos rôles.
C’est l’autre point fondamental. Savoir comment je vais bouger, comment me déplacer... Qu’il s’agisse d’incarner Jung, Magneto ou, ici, un avocat, la question reste la même pour moi : « Comment ce type se vit-il de l’intérieur ? Quels gestes définissent son existence ? » L’homme que je joue dans Cartel est un vaniteux qui vit dans le royaume des apparences. Il est séduit par un style de vie qu’il ne peut pas s’offrir. C’est comme ça que je le définis, y compris d’un point de vue moral. Pendant longtemps, je me suis demandé comment un avocat pouvait côtoyer des criminels sans se rendre compte qu’ils étaient à ce point dangereux, et puis j’ai compris : c’est à cause de son arrogance. Il se croit supérieur aux autres. C’est sa faille, et ça, je le traduis grâce à son look, son style, sa bagnole, son appartement, etc.
À un moment, on aperçoit un poster de l’acteur Steve McQueen dans une villa. Vous mettre face à ce symbole de la coolitude définit le personnage, mais je me suis demandé s’il n’y avait pas une référence à l’autre Steve mcQueen...
À qui ? Ah, vous parlez du cinéaste ? (Rire.) Je ne crois pas. On a déniché cette baraque incroyable dans laquelle il y avait vraiment une photo de McQueen. Ça a plu à Ridley et je crois qu’il trouvait ironique que je regarde ce cliché tiré de La Grande Évasion (en fait La Canonnière du Yang-Tsé, de Robert Wise).
Ça va plus loin car il y a aussi la moto de La Grande Évasion dans Cartel...
Ah non, ça, c’est celle de Lawrence d’Arabie ! Ce n’est pas la Vincent Black Shadow mais la Brough Superior SS100.
C’est fou parce que Lawrence d’Arabie est le film que votre personnage dans Prometheus se passe en boucle !
Je n’avais même pas fait le lien. À mon avis, pour Ridley, il s’agissait moins d’une private joke que d’une manière de dire : « Il est temps de se faire la malle, d’enfourcher ce bolide pour éviter la tempête qui approche. » Ce qui est amusant, c’est que j’ai tourné Cartel juste après une année sabbatique passée à sillonner les routes en moto.
C’est quoi cette obsession ?
Après Prometheus, j’ai eu la sensation d’être bouffé par mon métier et j’ai eu besoin de m’accorder un break. Je suis donc parti avec mon père pour un très long voyage : Sarajevo, Dubrovnik, puis l’Italie, la France et l’Espagne. Pour moi, c’est une philosophie de vie. À moto, on a ce sentiment fou de puissance, de vitesse et de liberté. Par ailleurs, on croise des tas de gens bien sûr la route. Ça rejoint mon besoin de me sentir entouré, d’avoir une troupe. C’est pour ça que j’aime tant le théâtre. Et c’est peut-être aussi pour ça que je ne cherche pas les premiers rôles à tout prix.
Du coup, pas besoin de vous demander si vous appréciez McQueen...
C’est un acteur que j’aime regarder mais ce n’est pas mon idole. Je préfère Paul Newman et, par-dessus tout, Marlon Brando, des stars écrasantes avec qui je partage une méthode : se fondre dans la peau du personnage.
En parlant de star, Brad Pitt se pose aussi là. C’est la troisième fois que vous l’avez comme partenaire, non ?
Oui, et cette fois-ci, contrairement à Inglourious Basterds, je partageais du temps avec lui. Brad, pour moi, c’est d’abord un type très généreux. Après le tournage du Tarantino, il a donné mon nom à des réalisateurs, à des agents... Il n’était pas obligé de faire ça, mais c’est dans sa nature. Au-delà d’être un immense acteur, c’est un producteur, précieux, une figure essentielle de l’industrie et un type vraiment brillant. Sans lui, on n’aurait jamais fait 12 Years a Slave. Il s’assure que les grands cinéastes puissent travailler dans de bonnes conditions et que les jeunes talents aient la possibilité d’émerger,parfois en dehors du circuit commercial. J’ai vraiment énormément d’estime et de respect pour lui.
Vous avez parlé avec Cormac McCarthy ?
Oui. Il venait tous les jours sur le plateau, mais on ne discutait pas du film ni de mon personnage. Il nous a laissés totalement libres. On a parlé de pilotes d’avion, de plans de vol et de F1, mais pas le moindre mot sur le script !
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