Le cinéaste iranien signe un de ces suspenses sociaux dont il a le secret. Une leçon d'écriture tellement maîtrisée qu'elle en étouffe cependant l'émotion.
Arte rediffuse Un héros, à 20h55, et le film est aussi visible gratuitement en replay sur le site de la chaîne. Première vous le conseille.
Après un passage par l'Espagne (Everybody knows qui avait fait l'ouverture de Cannes en 2018), Asghar Farhadi revenait en 2021 sur sa terre de naissance et de prédilection, l'Iran, et dans le registre qui l'a fait roi avec Une séparation, ce mélange de suspense et de chronique sociale où mensonge et manipulation règnent en maître. Le tout en partant, comme à chaque fois, d'une situation hyper basique qui va peu à peu dévorer son personnage principal comme des métastases envahissant un corps de moins en moins résistant.
Celui-ci s'appelle Rahim (incarné brillamment par Amir Jadidi, candidat au prix d'interprétation). Jeté en prison à cause d'une dette qu'il n'a pas pu honorer, il veut profiter de deux jours de permission pour convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d'une partie de la somme. Mais rien ne semble y faire jusqu'à ce que sa compagne lui propose de rembourser... avec les pièces d'or d'un sac qu'elle a trouvé dans la rue. Se sauver par un vol qui ne dit pas son nom, comme un mensonge par omission ? Le dilemme moral, toujours moteur du récit chez Farhadi, peut alors se déployer. Et si Rahim finit assez vite par choisir de rendre ce sac en essayant de retrouver sa propriétaire, il ne se doute pas qu'il vient de mettre le doigt dans une machine infernale qui va le broyer. Car si par son geste altruiste, il devient un héros dont tout le monde veut profiter de la lumière, des rumeurs vont vite mettre en doute sa bonne foi et faire de lui l'homme à abattre, le salaud de service. Le fameux "on lêche, on lâche, on lynche" dans toute sa splendeur
La mécanique implacable imaginée par Farhadi a tout d'un tour de force. Un récit qui, tout en apparaissant limpide, fait apparaître en permanence des éléments qui semblent venir contredire ce qu'on a vu. Dans cette chronique de l'impossibilité d'une rédemption où les mêmes mots et actes adoubés comme héroïques deviennent des preuves de votre culpabilité, le spectateur doute de tout et surtout de l'évidence car soudain, influencé par le changement d'atmosphère ambiante, le sourire qu'on trouvait touchant du héros devient trop malicieux pour être honnête !
Cette mécanique incroyablement huilée questionne tout à la fois la lâcheté humaine et les ravages de la rumeur décuplée par les réseaux sociaux pour livrer une vision du monde misanthrope en diable où tout geste généreux finit par paraître suspect. Sous tension d'autant plus permanente que ses protagonistes n'en viennent finalement que peu aux mains alors qu'au bout d'un moment chaque scène pourrait les y conduire, Un héros n'a rien d'un film aimable. Il est à l'inverse malaisant, désagréable où le mensonge se révèle une arme que se partage équitablement le camp du bien et le camp du mal, ici réunis dans un geste tout sauf manichéen.
Un engrenage aussi parfaitement huilé a cependant un dommage collatéral: une cérébralité qui étouffe l'émotion. Et il faudra attendre un ultime plan (qu'on ne vous révèlera évidemment pas) magnifique pour qu'elle surgisse. Mais ce regret n'empêche pas de saluer l'incroyable conteur qu'est Farhadi, dont la mise en scène accompagne avec sobriété (Rahim est filmé le plus souvent à travers des vitres, comme un prisonnier en cage, même hors des murs de la prison, se heurtant à la mauvaise foi de ses interlocuteurs) cette sensation d'étouffement qui vous envahit au fil des péripéties du récit. Certains l'accuseront de creuser toujours et encore le même sillon. Ce qu'on reproche rarement aux auteurs purs et durs qui ont la carte. Avoir du succès fait- il de vous un suspect en puissance de conduite en pilotage automatique ? Voilà une question très "fahradienne" !
Bande-annonce :
Asghar Farhadi est accusé de plagiat pour Un héros
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