Première
par Mathieu Carratier
La sortie de Gone Baby Gone, en 2007, avait été précédée d’une bonne dose de scepticisme. Ben Affleck derrière la caméra ? Lui, là, l’ex-wonderboy cramé par ses escapades people avec J-Lo ? Le pote prometteur de Matt Damon périmé par une série noire de navets inavouables ? Les vautours se pressaient autour de cette première réalisation, pensant s’en régaler comme du dernier sursaut d’un type condamné d’avance. Leur estomac en gargouille encore car, non seulement le film a conquis la critique, mais il a également offert
à Affleck l’une des reconversions les plus spectaculaires qu’Hollywood ait connue. Avec The Town (2010) et maintenant Argo, l’acteur-réalisateur est passé du statut de has been radioactif à celui de metteur en scène nominé aux Oscars. En trois longs métrages exemplaires, le paria s’est mué en auteur polyvalent regardé comme le nouvel Eastwood à qui l’on soumet dorénavant tous les projets les plus juteux du moment. Affleck, malin, a retenu la leçon, ignorant cette cote de popularité soudaine pour se bâtir une seconde partie de carrière avec la modestie d’un artisan qui construit brique à brique la maison de ses rêves alors qu’on lui propose des gratte-ciel clés en main. Redoutable thriller politique doublé d’une reconstitution à la fois tendre et ironique du Hollywood de la fin des 70s, Argo invite Robert Altman chez Alan J. Pakula pour raconter un épisode incroyable mais vrai de la crise iranienne des otages. Ou comment un agent de la CIA s’est adjoint les services d’un producteur flamboyant et d’un pro des effets spéciaux afin de mener une opération d’exfiltration rocambolesque. Avec une virtuosité affolante, Affleck slalome entre les écueils d’un sujet casse-gueule, passe de l’absurde à la tension extrême en un mouvement de caméra – même si vous suiviez les JT en 1979 et que vous connaissez l’issue de la mission, on est prêts à parier que la dernière demi-heure vous collera au fauteuil. Contrairement à la majorité des films du genre sortis ces dernières années, Argo n’oublie pas que dans « thriller politique », il y a d’abord « thriller ». Et que dans Ben Affleck, il y a définitivement un brillant cinéaste.