- Fluctuat
Scénariste reconnu et maintes fois récompensé, Paul Haggis - l'auteur de Million Dollar Baby (le dernier Clint) - passe de la plume à la caméra. Avec Collision, il signe sa première réalisation. Reste à savoir si écrire des long-métrages implique qu'on sache les tourner...
- Lire la chronique de Million Dollar Baby (Clint Eastwood, 2004)Comment l'Amérique dont on a tant vanté la richesse du melting-pot, fait-elle pour vivre ensemble ? Avec Collision, Haggis pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses et mettre ce sujet sur la table, sans a priori ni faux-semblant est déjà une des gageures qu'il relève. Graham est l'un des seuls supers flics noir de la ville. Ria, sa collègue et amante, est la seule Portoricaine bien qu'on la prenne pour une Mexicaine. Jean est blanche. Elle a épousé un juge de la même couleur et se retrouve dans son foyer, entourée de personnel de maison et cloîtrée par la peur. La femme de Cameron pourrait lui ressembler sauf qu'elle est noire et qu'elle vient d'être humiliée par un flic... blanc. Malgré les constants efforts de chacun pour faire profil bas ou pour maintenir une certaine position sociale en correspondance avec sa peau, tous font des rencontres désarçonnantes en ce qu'elles posent les questions qu'ils aimeraient bien taire.Chacun à beau tenter de se résonner pour ne pas être sous l'emprise de ses préjugés : chassez le naturel, il revient au galop. La double difficulté, ici, est d'être également sous l'emprise du politiquement correct qui impose son carcan moralisateur au point de laisser tout le monde schizophrène. Dès lors, qui prendra le risque de regarder l'étranger simplement ? Qui osera lâcher sa bonne conscience et assumer ses peurs ? Reconnaître ses frayeurs, dépister ce qu'elles ont d'irrationnel, c'est déjà ne pas en dépendre. Collision est en ce sens une autopsie. Celle de la scène de crime, qui ouvre le film, celle d'une société avec ses infinis mouvements de cause à effet. On vit les uns avec les autres, à côté mais sans jamais se toucher, ni au propre, ni au figuré.Portrait d'une puissance mondiale prête à sauver veuves et orphelins étrangers mais qui ne regarde ni son propre territoire ni ses propres malaises, cette histoire est moins celle de l'Amérique marquée par le 11-septembre que celle d'un pays qui laisse mourir ses propres citoyens. Et de penser aux Famas et aux hommes en treillis qui sillonnent la Louisiane, là où médecins et ONG devraient intervenir. Là où l'humanitaire est manifestement réduit à son expression militaire, comment pourrait-il en être autrement dans la société de tous les jours ? L'arme est devenu support du langage. Sous sa menace, quels mots subsistent alors ?Le film, inspiré d'évènements autobiographiques ayant eu lieu dans cette ville, se passe à Los Angeles et ce n'est pas un hasard. En 1992, elle a été le théâtre de violentes émeutes raciales. Comme toutes les mégapoles métalliques, elle s'est déshumanisée. Ne reste que des signes extérieurs de richesse ou de couleurs. Cette tragédie est d'autant plus banale et prévisible que la cité hollywoodienne est le paradis des faux-semblants autorisés. De l'autre côté du miroir, l'image fait croire et montre une version d'une réalité produite avec des systèmes qui sont aussi questionnés. Haggis n'épargne personne et met à son service des dialogues qui font mouche et des acteurs dans le ton - une surprenante Sandra Bullock qu'on aimerait du coup voir plus employée dans des films d'auteurs.Pourtant, si son scénario est toujours brillant, Paul Haggis ne maîtrise pas tout à fait l'art de l'image. Ainsi le montage trop explicite et premier degré agacent. Le cadrage est tellement minimaliste qu'on se demande si ce film n'a pas été conçu pour être diffusé sur des téléphones mobiles : chaque personne qui parle est à l'écran, en gros plan ou en plan américain. Le nez collé aux situations, forcé, aveuglé par ces images, le spectateur est embarqué dans les démonstrations, contraint de prendre ce qu'on lui montre pour argent comptant. Les quelques séquences où l'action oblige le réalisateur à élargir le champ de sa caméra, apportent souffle et ampleur. Dès lors on sent que plus de plans d'ensemble, une perspective plus large, une vision plus globale des situations, auraient apporté au film un élan plus universel. Premier degré, Paul Haggis l'est parfois trop, au point de frôler une sensiblerie trop larmoyante pour être honnête. Malgré cela, Collision reste un film à voir, ne serait-ce que parce qu'il s'empare de questions trop souvent tues...Collision
Un film de Paul Haggis
Scénario : Paul Haggis et Bobby Moresco
Etats-Unis, 2004
Durée : 1h54
Avec Don Cheadle, Matt Dillon, Sandra Bullock, Jennifer Esposito, Thandie Newton...
Sortie salles France : 14 septembre 2005[Illustrations : Collision. Photos © Metropolitan FilmExport]
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