C’est un prologue qui rappelle l’ouverture de Heat. La caméra balaie la ville et vient se concentrer sur un fourgon qui file à travers les rues de L.A. On suit le camion jusqu’au parking d’un magasin de doughnuts. Les gardes s’extirpent du fourgon, rentrent dans la boutique, en sortent les bras chargés, avant d’être cueillis par une armée de malfrats qui éviscèrent le camion blindé. Balles dum dum contre les pare-brises, douilles de M16 sur le trottoir, gros calibres qui déchirent la nuit et les gilets pare-balles…. C’est le premier sommet d’un film de deux heures vingt. Il y a dans le retentissement de ce braquage initial, dans ce moment de guerilla urbaine, tout ce qui va faire la force brutale du film : la violence, la puissance et le cinéma.
Cowboy cinglé
Criminal Squad (titre « français » de Den Of Thieves) raconte l’histoire d’un gang de braqueurs qui décide de s’attaquer à un projet de fou : la banque centrale américaine. Ils se retrouvent vite pistés par une escouade de flic conduite par Nick Flanagan, un homme encore plus dingue, plus coriace et plus violent que les malfrats qu’il traque. A ce moment là, vous vous dites surement : « rien de neuf depuis le Lloyd Hopkins de James Ellroy, les films de Michael Mann ou même la brigade de Vic Mackey ». Pas faux : good cops bad cops, brouillage des frontières (de la loi), perçage de coffres et filtres sulfureux… Le cocktail est classique, mais Christian Gudegast (scénariste de La Chute de Londres) le sert brûlant et corsé. Le montage est acéré, la ville de L.A. superbement filmée et cartographiée, et le film est ancré dans ses quartiers chauds avec un casting mélangeant stars, seconds couteaux et inconnus notoires, tous tranchants. C’est déjà un tour de force par les temps qui courent. Mais plus appréciable encore : le cinéaste (spécialiste des séries B qui tranchent) flirte avec le western. Il révèle un goût particulier pour l'héroïsme déchu, les justiciers fous et les fulgurances masos. Il y a aussi cette incroyable habileté à transférer dans un cadre urbain les grandes mythologies du genre : le premier braquage de fourgon ressemble à une attaque de diligence, les rixes ont des allures de bagarres de saloon... La skyline de Los Angeles prend même des airs de Monument Valley. Bizarrement, tous ces archétypes (du western comme du hardboiled avec les feds débiles, les gangstas belliqueux et les putes qui trahissent), aujourd’hui si érodés qu’on les supporte difficilement ailleurs que dans GTA, semblent s’être refait une santé de fer sous sa caméra. C’est peu de choses, mais à force d’évoluer dans une arène en ébullition, ses cowboys cinglés finissent par devenir un peu plus que des clichés balourds échappés d’un Hollywood révolu.
Molosse
Au milieu de cet univers rutilant et testostéroné, il y a surtout, plus brutal que le plus tough des tough guys, Gerard Butler. Le rustaud écossais continue de creuser son sillon de working class hero, ses personnages de blue collar qu’il porte ici jusqu’à l’hyperbole (le marcel blanc sous le cuir usé est d’une classe aveuglante). Cramé, barbu et avec l’épaisseur d’un buffet normand, sa violence est transfigurée. L’alcool transpire de sa peau tatouée, et ses yeux de dingue roulent dans tous les sens. Dans le genre, on n’avait pas vu ça depuis le Martin Riggs de Mel Gibson, et comme lui, il réussit à foutre la trouille dans des scènes mémorables (le dîner de yuppies est tétanisant). Butler utilise sa morphologie de molosse avec un appétit du geste et un sens de l'incarnation fascinants. Il multiplie les astuces d’acting (meilleur jeu de cigarette de l’année) pour choper la caméra et ne plus la lâcher. Son apparition fait souvent l'effet d'un coup de boule sur l'arête du nez. Pile comme le film.