Avec son premier long métrage, Vierges, elle signe une très subtile variation autour du passage au monde adulte sur fond de sirène hantant une station balnéaire israélienne. Rencontre avec une adepte du mélange des genres.
Comment est né ce singulier récit initiatique autour de cette ado de 16 ans étouffant dans la station balnéaire où elle vit avec sa mère ?
Karen Ben Rafael : D’abord de envie de raconter trois générations de femmes : cette ado donc, sa mère mais aussi sa petite cousine de 10 ans. De parler ainsi de transmission et des bouleversements que l’âge peut impliquer. Mais le véritable déclic est venu d’un fait divers qui a eu lieu dans le village où j’ai tourné cette histoire. Voilà une poignée d’années, son maire avait promis un million à qui amènerait la preuve de l’existence d’une sirène que certains avaient vu évoluer au large ! Et alors que cette station balnéaire était désertée par les touristes, il avait réussi à faire venir tout un tas de journalistes et créer un buzz autour de cette histoire. J’ai donc eu envie d’aller sur place discuter avec les témoins de cette histoire. Et cela a fait naître quelques- uns des nombreux fils que j’allais tisser pour construire cette fiction.
A commencer par ce personnage de sirène…
Oui : cette image de femme à la fois fantasmée et imparfaite puisqu’il lui manque les jambes et les attributs sexuels. Cette femme en devenir, en quelque sorte, se mariait parfaitement avec mon idée de départ. A travers elle, j’allais pouvoir parler de cette représentation de femme parfaite à laquelle nous sommes finalement toutes confrontées à un moment ou à un autre de notre existence. Car on se positionne forcément par rapport à celle- ci, façonnée par un regard et un univers masculins. Notamment dans notre sexualité. D’ailleurs, en hébreu, « sirène » se dit « vierge de la mer » voire même « vierge » tout court. Or mon héroïne adolescente débute sur ce terrain- là. Sa façon de se comporter assez cash et brutale le montre : elle refuse d’être enfermée dans cette image façonnée par les hommes. Elle se construit contre elle.
Et vous le racontez en maintenant sans cesse un équilibre entre une ambiance de conte fantastique et des situations bien plus terre à terre et triviales…
L’idée était en effet de mêler la réalité le réalisme du présent – ce bar déserté par ses clients tenu par cette mère célibataire, la vie amoureuse cachée de cette femme, celle en devenir de sa fille – et le fantasme d’un futur plein d’espoirs. Trouver cet équilibre a été le plus complexe dans toute cette aventure. Il se construit évidemment dans l’écriture. Je savais par exemple dès le départ qu’on n’essaierait pas de montrer cette sirène, qu’on resterait dans le fantasme. Puis, au tournage, les cadeaux que nous a faits la nature n’ont fait que renforcer ce mélange- là. On a écrit Vierges comme un film d’été mais les circonstances nous ont conduits à le tourner l’hiver. Un hiver assez dur dont l’atmosphère a rajouté au film cette poésie que je recherchais à travers les couleurs du ciel et de la mer.
Est- ce facile de faire entendre sa petite musique singulière sur un sujet comme le passage à l’âge adulte qui a inspiré tant de grands films ?
Honnêtement, cela n’a pas affecté mon écriture car j’étais alors surtout obsédée par le traitement équilibré de mes différents personnages. J’ai toujours imaginé Vierges comme un film choral. Et pas simplement comme l’histoire d’une ado qui rêvait de quitter ce lieu un peu perdu et abandonné pour aller vivre à Tel- Aviv. Je voulais certes que cette envie existe mais reste vague. Car à cet âge- là, on n’a pas besoin d’un but précis. Juste d’une perspective dont les raisons peuvent être changeantes. A 16 ans, moi aussi j’avais tout le temps envie d’aller à Tel- Aviv et je m’inventais tout un tas de raisons qui masquaient la seule et unique véritable : changer d’air, me libérer
L’envie de réaliser est née dans ces années- là ?
Oui et cela a fait partie des raisons qui m’ont donné envie de partir pour Tel Aviv. J’ai une tante qui a tourné des documentaires. Mais mon désir de départ n’est pas venue d’elle, ni d’une cinéphilie pointue ou dévorante. Juste du désir d’échanger et de travailler en commun sur des projets. Cette idée de bande, de faire grandir des choses ensemble n’a fait que s’amplifier depuis. J’ai commencé à travailler en Israël en tournant pour la télévision et en signant des documentaires. Puis je suis partie faire la FEMIS section réalisation à Paris. J’étais déjà familière avec votre langue car j’avais suivi des études de philosophie et littérature française à l’université de Tel- Aviv
Qu’avez-vous appris à la FEMIS ?
A me positionner par rapport aux autres puisque, comme nous ne sommes que 6 par promotion, on échange facilement et énormément sur les films qu’on y tourne. Je n’envisage pas mon travail et l’art en général dans un cercle fermé. J’ai besoin de critiques, d’opinions contradictoires. La FEMIS m’a apporté tout cela. J’y ai aussi fait beaucoup de rencontres, y ait construit ma famille de cinéma. Mon chef opérateur Damien Dufresne - qui est aussi devenu mon mari -, ma scénariste Elise Benroubi et même de manière indirecte ma productrice de Vierges. Enfin, ce passage par la FEMIS a créé un lien entre la France et moi. J’y ai tourné tous mes courts métrages avant ce long. Et j’ai la chance depuis de pouvoir développer des projets dans les deux pays. Ca ouvre en grand le champ des perspectives.
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