Christopher Nolan se défend d’avoir fait un James Bond, mais il utilise à fond les codes de 007.
Nolan le dit et le répète : Tenet est, définitivement, un spy thriller. Un film "à la James Bond" sans James Bond, fondé sur les souvenirs d’enfance du cinéaste. Et de son amour pour les films de James Bond. Pourquoi ne pas avoir directement réalisé un épisode de 007, demandait Première à Nolan ? "Ça aurait été surtout extrêmement futile : ces films existent toujours et ils sont très bons", nous expliquait le réalisateur. "Ce que je cherchais, ce n’était pas à faire un Bond en tant que tel. Je voulais plutôt retrouver mes sentiments d’enfant face à ces films. Une sensation. Tenet, c’est ça : ma tentative de recréer l’excitation que j’avais face à ces divertissements à grande échelle, ce que j’ai pu ressentir en découvrant ces films. C’était le souvenir d’une émotion plus que les codes des films eux-mêmes." Pourtant, Tenet utilise bien -et de façon très premier degré- les codes de 007. En attendant la sortie du nouveau James Bond, Mourir peut attendre, prévue pour le 11 novembre prochain, on vous fait un rapport de mission.
Pourquoi Christopher Nolan a préféré réaliser Tenet plutôt qu’un James BondLe grand méchant
C’est le point le plus évident du film : il s’agit au fond de lutter contre Sator (Kenneth Branagh), un grand méchant milliardaire oligarque russe marchad d’armes. Cruel, brutal, amateur d’art et de vodka cul sec. Un cliché ambulant -Branagh tenait plus ou moins le même rôle dans The Ryan Initiative (2014), et c’était déjà un peu gênant- que même 007 n’ose plus affronter : les grands méchants bondiens au moins depuis GoldenEye avaient tendance à être des écolos pervers (Quantum of Solace) ou de machiavéliques revanchards (Skyfall, Spectre), des méchants toujours à double visage (le bad guy de GoldenEye se nomme Janus). Chez Nolan, il s’agit justement de revenir aux sources même du spy thriller en dotant le Protagoniste d’un adversaire incarnant le spectre de la Guerre froide dans laquelle 007 a incubé. Sans l’interroger plus que ça. Sator mérite simplement une bonne balle dans la tête.
La géopolitique en touriste
En octobre 2002, des séparatistes tchétchènes organisent une prise d’otages au théâtre Doubrovka de Moscou, qui a été un véritable massacre : les forces spéciales russes ont éliminé les preneurs d’otage notamment à l’aide d’un gaz paralysant, provoquant un carnage aussi bien au sein des terroristes que des civils. Ça vous rappelle quelque chose ? L’ouverture de Tenet, par exemple : une prise d’otages à l’opéra de Kiev, où les spetnatz russes affrontent leurs adversaires à coups de fusil -et de gaz toxique !- sans grande considération pour les spectateurs et les musiciens. C’est la seule incursion du réel dans le film : à partir de là, Tenet déroule son intrigue sur le grand échiquier du monde, passant d’un pays à l’autre, du Danemark à l’Inde en passant par l’Italie et l’Estonie, sans que ces pays interchangeables n’influent sur l’intrigue. Comme dans Inception, le cadre est avant tout visuel, unifié par l’imagerie nolanienne. Et comme dans James Bond, on est surtout là pour passer, accomplir une mission ou un fragment de mission, en touriste, sur le pont d’un yacht ou le hall d’un hôtel.
La classe américaine
Sauver le monde avec style. Le Protagoniste partage avec les espions de Sa Majesté une certaine idée de la classe : cette scène où il rencontre Sir Michael Crosby (Michael Caine) est autant l’occasion d’obtenir un indice pour faire avancer le scénario que pour obtenir des conseils afin de se faire tailler un vrai costard chez Savile Row, Crosby jugeant avec sympathie que le héros est habillé comme un sac (comme s’il devait s’habiller comme Bond pour pouvoir jouer à Bond). Il sera bien temps d’enfiler des treillis quand l’intrigue le demande. "Les manières font l’homme", comme on dit dans Kingsman.
La James Bond Girl
Pour atteindre le grand méchant, son point faible est sa femme. Comme tout bon héros nolanien, le Protagoniste est complètement asexué, à la différence de Bond (téléguidé par ses hormones au point de devenir une parodie de lui-même), ce qui ne l’empêche pas de tomber raide dingue amoureux de Kat (Elizabeth Debicki), femme maltraitée de Sator qui veut se venger de son mari. Le Protagoniste fera tout pour la sauver, faisant même dérailler l’intrigue à son profit. Cherchez la femme : là aussi un coup classique bondien. Mais il y a aussi une autre femme : Priya Singh (Dimple Kapadia), qui séduit le Protagoniste… et qui se révèle être une méchante. Comme chez 007, il y a deux James Bond Girls. La bonne et la mauvaise.
La chanson-thème
Tous les James Bond ont une chanson au générique d’ouverture qui fait partie intégrante du film, au même titre que l’Aston Martin ou les montres du Commander Bond. Tenet fait les choses à l’envers : une chanson de Travis Scott, "The Plan", illustre le générique de fin. Et c’est loin d’être un morceau illustratif : "sa voix est devenue l’ultime morceau d’un puzzle d’un an", a expliqué Christopher Nolan à GQ. "Ses visions au sein du mécanisme narratif et musical que Ludwig Göransson et moi étions en train de créer étaient immédiates, visionnaires et profondes". Euh… en clair ? Les paroles de la chanson détiennent-elles un indice pour décrypter Tenet ? Vérification faite, pas vraiment, même si Travis parle de faire atterrir un Boeing et de danser au ralenti ("Ride on land, Boeing jet, make it land, it's slow motion when I dance"). "It’s all part of the plan", comme dit le Joker dans The Dark Knight ? Le son de la superstar du rap se marie plutôt bien avec les rythmes métalliques et étouffés de la partition de Göransson. Disons que c’est adapté pour un film qui joue sur l’inversion temporelle que son opening song jamesbondien soit placé à la fin.
Tenet : tentative d’explication et éléments de réponse sur le scénario (spoilers)
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