U-Turn avec Jennifer Lopez et Sean Penn
COLUMBIA TRISTAR FILMS

Trois ans après Tueurs nés, Oliver Stone mettait son style hystérique
 au service d’un film noir capté sous un soleil de plomb. Un grand numéro de surrégime totalement assumé.

Ne jamais croire un cinéaste américain lorsqu’il invoque l’existentialisme à l’européenne pour justifier son film le plus désaxé. Ne jamais croire Oliver Stone, donc, lorsqu’il dégaine Sartre pour tenter de caractériser U-Turn, comme c’est le cas dans l’introduction enregistrée pour cette réédition Blu-ray. À moins de s’engager sur une fausse piste, celle d’un opus magnum pompeux qui chercherait à ajuster Hollywood et ses mythes aux dimensions d’un petit théâtre méditatif. Préférons faire confiance au demi-tour, à la déviation « en forme de U » annoncée par le titre : en 1997, suite à l’échec de Nixon, Stone tourne effectivement le dos à l’establishment industriel, s’exilant vers le désert tel le Sean Penn des premières minutes, truand et clampin égaré en décapotable au milieu du vide ocre et des signaux abscons – pas seulement les panneaux, mais les charognes qui le conduisent vers une version chamanique des romans de James M. Cain ou Jim Thompson. Alors qu’il appartenait depuis Platoon au grand poulailler à Oscars, Stone rejoint la marge hollywoodienne. Ici se sont épanouis des auteurs moins soucieux que lui des grands dossiers de l’histoire, comme les Coen ou Lynch : même manière d’utiliser l’americana comme un gouffre d’inquiétante étrangeté plus que comme un kit de repères familiers, même dévergondage des stars montantes ou confirmées – de Jennifer Lopez à Jon Voight, de Claire Danes à Nick Nolte, sans oublier Joaquin Phoenix en jeune bully qui surgit ça et là façon spectacle de Guignol. Tous sont embarqués dans un tunnel de surrégime débouchant sur quelque chose comme l’asile du thriller néo-noir.

PRODUCTION / COLUMBIA TRISTAR / PHOENIX PICTURES

DÉCONSTRUCTION DES TROPES

Chaque péquenaud charrie un secret sordide, le garagiste ressemble à un croque-mitaine, la femme fatale cherche à liquider son mari qui est aussi son père, le pauvre Penn n’y comprend rien (« tout le monde couche avec tout le monde, dans cette ville ? ») mais accepte quand même de tuer Monsieur pour le compte de Madame (et vice versa). Contemporain immédiat de Lost Highway, le film n’a pas suscité la même fascination générale, peut-être, comme le suggère le critique Samuel Blumenfeld dans un entretien inclus en bonus, parce qu’il se lance dans un travail de déconstruction des tropes déjà mené aussi bien par Lynch que par la nouvelle garde des années 90. Il faut dire que sa manière d’hystériser la forme jusqu’à la faire craquer, chargeant la barque de flash-back superflus et d’inserts sur les bouches tordues ou sur un corbeau de passage, pourrait laisser entrevoir un auteur ivre de son propre iconoclasme.

VOLTE-FACE

Mais pour peu qu’on accepte de prendre U-Turn pour ce qu’il est, c’est-à- dire un retour en arrière plutôt qu’un prototype, on saisit l’intérêt du voyage : faire ainsi volte-face, c’est pour Stone l’occasion de revenir à son coup d’éclat pré-Nixon, à savoir Tueurs nés. Déjà une embardée esthétique, déjà une lettre de rage adressée à l’entertainment, le brûlot s’était rendu identifiable par son sujet (l’histoire d’amour entre les médias et l’ultra-violence du pays) : c’est bien ce qui le date et le rend aujourd’hui poussif. U-Turn, lui, paraît tâtonner en quête de sa propre raison d’être, s’avouant peut-être qu’il n’en a aucune, et s’étranglant alors dans un rire désespéré et autodérisoire. Un Tueurs nés débarrassé de son moralisme et de son ego ? Ce serait la preuve que faire demi-tour n’est pas seulement une manière de décocher un doigt d’honneur au public, mais aussi de revoir sa propre copie.

U-Turn - ici commence l'enfer est ressorti l'an dernier en Blu-Ray chez L'Atelier d'images