Trois succès français box- office 2024
Pan Européenne/ Pathé/ StudioCanal

Si la part du cinéma français tutoie celle du cinéma américain en 2024, elle le doit à ces trois films pour lesquels nul n’avait imaginé un tel carton. Retour sur leurs stratégies payantes.

Un p’tit truc en plus d’Artus

« On m’a clairement dit que les gens n’avaient pas envie de voir des handicapés au cinéma » nous confiait Artus quelques jours avant la sortie de son premier long métrage, sans imaginer alors un seul instant – en dépit d’avant- premières qui faisaient salle comble – que celui- cu réunirait 10,8 millions de spectateurs et deviendrait le plus gros succès du box- office français en 2024. « Ces interlocuteurs- là n’essayaient même pas d’enrober tout cela derrière de fausses excuses. On voulait bien financer mon film mais pas avec cette population- là ! ». Il est toujours facile de refaire l’histoire mais on peut légitimement être surpris de ce blocage alors que, sur le petit écran, depuis septembre 2022, Les Rencontres du Papotin, l’émission produite par le duo Nakache- Toledano, fait un carton à chacun de ses numéros quel que soit l’invité, les samedis soir sur France 2. Mais il a trouvé avec Pierre Forette et Thierry Wong de Ciné Nominé des producteurs capables tout à la fois de voir le potentiel populaire du film – notamment cette capacité du film à rire avec ses personnages sans jamais s’excuser de ses vannes - et de donner à Artus les moyens de le faire, notamment en termes de durée de tournage. Pour que les comédiens peu ou pas expérimentés en situation de handicap ne se sentent jamais oppressés par le temps. Et pour qu’Artus lui- même puisse aller au bout de la méthode qu’il avait choisi : « je ne suis pas un grand fan des répétitions, j'aime le côté spontané. C’est la raison pour laquelle, une fois sur le plateau, je voulais que la caméra soit toujours prête à tourner pour aller voler ici ou là des choses et suivre leur rythme car il ne fallait surtout pas qu’on sente qu’ils jouent. J’aime les petites erreurs, je corrige ainsi d’ailleurs rarement les choses à la post- synchro. Je me moque si on ne comprend pas tel ou tel mot à partir du moment où on comprend le sens de l’ensemble. Je veux que mes personnages parlent comme dans la vie et pas de manière trop lisse. Ca ajoute de la sincérité. » Une sincérité payante.


 

Le Comte de Monte- Cristo de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière

Avec 9,3 millions de spectateurs, cette adaptation du roman d’Alexandre Dumas s’impose comme le deuxième plus gros succès de l’année en France. Et là encore, ses deux réalisateurs, même dans leurs rêves les plus fous, n’auraient jamais envisagé un tel destin pour leur film.  « On savait que depuis quelques années, un tel score était devenu vraiment inaccessible pour des films qui ne sont pas de pures comédies. On craignait un plafond de verre. Dans nos rêves les plus fous, on espérait tutoyer les 4,5 millions d’entrées du Cyrano de Bergerac de Jean- Paul Rappeneau. On est au double ! On a du mal à mesurer ce qui se passe. Et on sait dès aujourd’hui que pour le reste de nos vies, on pensera tous à Monte-Cristo avec émotion. Et on n’oubliera jamais les risques qu’ont pris Dimitri Rassam et Pathé pour ce film. » Et le goût du risque et l’art de les gérer se trouvent en effet au cœur de ce projet dont le succès s’est notamment grandement construit sur l’appétit du jeune public à voir et revoir le film, une cible que la précédente production de Dimitri Rassam, le diptyque des Trois mousquetaires, avait échoué à attirer en dépit d’excellentes projections- test sur elle. « On a fait des études et on a découvert deux choses », explique le producteur dans le dernier numéro de Première. « 26% des plus jeunes n’étaient pas venus parce qu’il s’agissait d’un film français. Et 21% parce que c’était un film historique ! » De quoi promettre le même sort pour Le Comte de Monte- Cristo sauf à revoir sa stratégie de fond en comble. « On s’est remis en question sur la façon dont on avait présenté les projets. Ainsi, plutôt que de mettre en avant la dimension patrimoniale, on a davantage présenté l’histoire, la vengeance ».  Et puis il y a le coup de poker –d’avancer d’octobre comme prévu – pour éviter la concurrence frontale avec L’Amour ouf déjà daté à cette période - à fin juin la sortie du film. A une date qui, à cause de l’enchaînement Euro de football et JO, faisait peur à pas mal de distributeurs… et allait être en plus percuté par l’annonce par Emmanuel Macron de la dissolution avec des élections le week-end de cette sortie. Et cette date du 28 juin, a permis à Monte- Cristo tout à la fois de profiter de l’excellent accueil cannois hors- compétition et, faute de concurrence forte, d’installer le film sur la longueur et de faire grandir le bouche- à- oreille sans craindre de perdre des salles en cours de route. Un pari risqué. Un choix gagnant


 

L’Amour ouf de Gilles Lellouche

Tout avait pourtant très mal commencé. En dépit d’une standing ovation lors de sa présentation officielle dans la compétition cannoise, L’Amour ouf, ce projet ultra- ambitieux à 37 millions d’euros que Gilles Lellouche portait en lui depuis 18 ans, a pris de plein fouet dès le lendemain matin par une critique largement négative. Soit l’inverse exact de ce qu’il avait vécu avec Le Grand Bain qui, lui, n’était pas passé par la case compétition. Une redescente sur Terre qui pouvait laisser augurer le pire pour la sortie du film cinq mois plus tard. Sauf que là encore un changement de stratégie va se révéler décisif. Après avoir entendu un ami producteur lui confier que son fils âgé d’une vingtaine d’années avait adoré le film, Hugo Sélignac, Alain Attal et leur distributeur StudioCanal vont creuser cette piste, organiser une projection- test fin juin à Paris en réunissant uniquement un public jeune dont l’enthousiasme va les pousser à « vendre » L’Amour ouf comme le film d’une génération. Celle qui n’avait pas connu les années 80 et 90 dans lesquelles se déroulent l’action et qui les fantasment comme Gilles Lellouche les fantasme à l’écran en revisitant sa jeunesse. L’Amour ouf va devenir leur 37°2 le matin et le duo Malik Frikah- Mallory Wanecque les héros dans lesquels ils peuvent se projeter. Mais pour arriver à ce résultat- là, Gilles Lellouche a aussi pu compter sur des producteurs qui l’ont laissé remonter le film jusqu’à la semaine précédant la sortie, ce qui n’arrive quasiment jamais. Une prise de risque financière énorme saluée de succès. Le film a dépassé les 4,7 millions d’entrées et continue en ce début janvier d’attirer 50 000 spectateurs par semaine.

 


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