Alice Diop
Première/ABACA

La réalisatrice nous raconte le "tourbillon" autour de son premier long-métrage de fiction.

Cet article reprend des extraits de l’entretien que nous a accordé Alice Diop pour le numéro 534 de Première. Il est toujours disponible sur notre boutique en ligne.

Commandez le numéro 534 de Première

Après 15 ans de carrière dans le domaine du documentaire, avec à la clé un César du meilleur court-métrage pour Vers la tendresse en 2017, Alice Diop a finalement franchi le pas vers la fiction. Et de quelle manière ! Son coup d’essai est déjà un coup de maitre : présenté à la dernière Mostra de Venise, Saint Omer est reparti avec le grand prix du jury et le prix du premier film. Et il a été retenu pour défendre les chances de la France aux Oscars 2023. Un parcours incroyable pour ce grand film de procès inspiré par l’histoire vraie d’une femme accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois, en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France.

Saint Omer : un film de procès aussi implacable qu'impressionnant [critique]

Se définissant comme "quelqu’un d’assez réservé", la réalisatrice française d’origine sénégalaise nous décrit dans le numéro de novembre de Première comment elle a vécu le fait d’être propulsée ainsi au devant de la scène, elle qui était jusqu’ici "confinée dans le cinéma documentaire, plus marginal" : "Je dois donc reconfigurer tout un tas de choses que je n’avais pas forcément désirées. Mais, dans ce tourbillon, j’ai mieux vécu le fait de représenter la France aux Oscars que l’après-Venise."

"Je me revois dans l’aéroport de Venise avec les deux prix sous le bras, prête à m’envoler pour Toronto. J’étais hébétée. J’ai mis du temps à digérer ce qu’il s’était passé, même si j’ai fait une rencontre extraordinaire avec Cate Blanchett – il m’a fallu une semaine pour parvenir à lire la lettre qu’elle m’avait écrite. Ça me paraissait trop... irradiant. J’ai eu besoin de temps pour digérer, retomber sur mes pieds et retourner à mes obsessions, dans ma grotte, là où je me sens mieux, quand je creuse mes souterrains. Mais la phrase « Saint Omer représentera la France aux Oscars », je l’attendais. Cette phrase-là « Saint Omer – ce film réalisé par une femme noire, porté par deux actrices noires françaises – représentera la France aux Oscars », je la trouve magnifique politiquement. Car il ne s’agit pas que de moi, alors que Venise a donné lieu à une cristallisation autour de ma personne en tant que cinéaste. Maintenant, je constate que le monde adhère à la conviction, que j’ai toujours eue, que le corps noir peut porter l’universel. Julianne Moore m’a confié que l’actrice qui joue le rôle de la mère de l’héroïne lui faisait penser à sa propre mère. On me parle de Saint Omer sans jamais me parler de la question noire. Toujours du rapport à la maternité... et pour moi, ça, c’est très politique."

GALERIE
Les Films du Losange

Refusant le statut de symbole, Alice Diop se réjouit de voir des réalisatrices s’imposer, comme elle, dans les grands festivals, et se dit "très heureuse d’être une femme cinéaste de 43 ans en 2022" tout en notant qu’il "reste encore beaucoup de chemin à faire". "Je ne voudrais pas que mon parcours exceptionnel masque toutes les résistances encore en place", précise la native d’Aulnay-sous-Bois qui a obtenu un DESS en sociologie avant de se lancer dans le documentaire.

"Nos mères ont été réduites au silence et aujourd’hui on a enfin la parole pour dire leur parole silencée. C’est ça qui m’intéresse. Je ne me tais plus ! Et on est nombreuses à ne plus vouloir se taire. J’ai un problème avec la notion de symbole car elle efface toute la possibilité des voix singulières. Or je ne veux pas être la seule. Je veux qu’on soit nombreuses. Et plus on sera nombreuses, plus j’aurai le droit à ma singularité. On le disait tout à l’heure : un film ne change pas le monde. Il change un spectateur qui, additionné à d’autres, transforme les choses."

Saint Omer sort au cinéma ce mercredi 23 novembre. Bande-annonce : 


A lire aussi sur Première