Fluctuat
Eytan Fox et son compagnon Gal Uchovsky usent d'humour et d'audace pour dresser le portrait d'une jeunesse israélienne qui rêve de paix, raconter une émouvante histoire d'amour interdit, et porter un message politique humaniste. Doté d'un casting sans faille, The Bubble est, malgré son allure légère, une chronique subtile à la fraîcheur réjouissante.
- Exprimez-vous sur le forum The BubblePrix CICAE (Confédération internationale des cinémas d'art et d'essai) et Prix du Public au Festival de Berlin, The Bubble est inspirée de Florentine, sitcom réalisée par Eytan Fox de 1999 à 2000. Les pérégrinations, amoureuses souvent, de la jeunesse branchée de Tel-Aviv sont le prisme choisi par le cinéaste pour filmer sans cliché les espoirs et les blessures de la société israélienne.
Noam, Yali et Lulu, auxquels on s'attache vite, partagent un appartement dans "la bulle", quartier trendy d'une ville tournée vers l'Occident. La jolie Lulu (Daniela Wircer), vendeuse dans une boutique de produits de beauté, n'a pas la langue dans sa poche et venge ses déboires sentimentaux sur les clients. Yali (Alon Friedmann) est gérant de café, gay, un tantinet sarcastique et raisonnablement excentrique. Noam (Ohad Knoller, vu dans Munich) travaille dans un magasin de disques, il rentre d'un séjour obligatoire sous les drapeaux, en poste à un checkpoint. C'est là qu'il a rencontré Ashraf (Yousef Sweid). Celui-ci le rejoint à Tel-Aviv, bouleversant un quotidien rattrapé par la réalité politique et sociale.Eytan Fox, la quarantaine, est né à New York, a grandit à Jérusalem et étudié, après son service militaire, à l'école de cinéma de Tel Aviv. Il partage sa vie et ses films avec Gal Uchovsky, scénariste et producteur, journaliste culturel célèbre, acteur de l'ouverture des médias israéliens dans les années 1980.
Avec Yossi & Jagger (2002) puis le remarqué Tu marcheras sur l'eau (2004), Eytan Fox a montré la difficulté d'être homosexuel, particulièrement pour les militaires, dans une société au sionisme machiste et à l'extrémisme orthodoxe homophobe. En témoignent les troubles causés par le passage de la Gay Pride à Jérusalem (et les ultras tentant tantôt de poignarder les manifestants, tantôt de se faire exploser parmi eux). Le réalisateur considère néanmoins que la société israélienne est tolérante, en partie car la guerre conduirait les parents à accepter un enfant gay, l'essentiel étant qu'il soit en vie.
Côté arabe, la vigueur du tabou est illustrée par la soeur d'Ashraf, qui refuse d'admettre son homosexualité. Un tabou qui a aussi posé des difficultés sur le tournage, quand il a fallu trouver un acteur qui accepte de jouer le père du jeune palestinien.Il est plus facile d'assumer son homosexualité à Tel-Aviv, surtout dans la rue Shenkin. Entre les cafés et boutiques à la mode, il y règne un certain état d'esprit, alter et arty. Uchovsky et Fox vivent eux-mêmes dans cete "bulle" culturelle et chamarrée. Les jeunes sortent, flirtent, vont au théâtre, écoutent de la musique avec une relative insouciance. Ils sont sans complexe, et les dialogues provocateurs sont assez amusants (du caractère "pas très sexy" de l'holocauste à l'aspect "explosif" du sexe). Ils sont loin de l'image d'une société en perpétuelle crise de paranoïa face au terrorisme. Mais parce qu'ils sont plus protégés que les autres des troubles du pays, ils sont accusés d'irresponsabilité. Pour le réalisateur, il ne s'agit que d'un mécanisme de survie. Une volonté d'oubli qui expliquerait par exemple que beaucoup d'Israéliens se réfugient dans la drogue à leur retour du service militaire.
Les personnages de The Bubble, bercés par une pop de bon goût, les chansons de la star et icône gay Ivri Lider notamment, ne sont pas pour autant dénués de conscience politique. Ainsi Lulu et Noam font partie d'un groupe anti-occupation qui organise une rave pour la paix. Et s'ils veulent oublier le conflit qui déchire la région, la réalité les rattrape immanquablement.Les flashbacks à Jérusalem montrent l'absurdité des divisions entre peuples juif et arabe. Ils évoquent aussi le passé du réalisateur, la lutte de sa mère pour préserver la mixité d'un quartier de la ville sainte. Elle appartenait à un groupe de femmes se rendant aux checkpoints pour vérifier que les soldats se comportent respectueusement. Les checkpoints, lieu d'humiliation, sont le quotidien des Palestiniens. Bien que symboliques (avec l'accouchement par exemple), les scènes qui s'y déroulent sont empreintes de réalisme.
Quand Ashraf commence à travailler pour Yali, il doit garder son identité secrète. Sans permis de travail et de peur d'être dénoncé, il est contraint de fuir à Naplouse, où il retrouve sa soeur qui se marie à un chef local du Hamas. Balles perdues en Palestine, attentats en Israël, la guerre revient au premier plan, pour un dénouement dramatique attendu. Mais le réalisateur ne souligne-t-il pas là l'horreur d'une tragédie devenue prévisible et inévitable ?
Optimisme ou désillusion, le film ne tranche pas, comme ces deux peuples sont privés de choix, par des gouvernements militaristes ou par des groupes terroristes. Reste la soif de vie, de plaisir, de bonheur des personnages, dont le coeur recèle un précieux espoir.Si la mise en scène est moins téméraire que le ton, la photographie est réussie, et les décors sont réalistes. Les scènes d'amour sont, homo ou hétéro, sensuelles et délicates. Les portraits sont drôles et sensibles, les interprétations impeccables. Eytan Fox signe un quatrième long-métrage léger et engagé, d'autant plus séduisant que ne sont pas légion, sur le conflit israélo-palestinien, les regards originaux et humains. The Bubble
Un film d'Eytan Fox
Avec Ohad Knoller, Yousef Sweid, Daniela Wircer et Alon Friedmann
Sortie en salles le 4 juillet 2007
[Illustrations : © Ad Vitam Distribution]Bande-annonce