Amoureux du Cercle rouge, de Mélodie en sous-sol et du Clan des Siciliens, l’acteur nous raconte son rapport à Alain Delon et pourquoi sa disparition marque la fin d’une époque.
Première rend un ultime hommage à Alain Delon, au sein d'un hors-série retraçant sa carrière. Ses sommets tels que que Plein Soleil ou Le Guépard, bien sûr, mais aussi ses films moins connus. Nous donnons au passage la parole à quelques invités. Parmi eux, Benoît Magimel raconte son rapport à Delon, un modèle au moins aussi important que Bébel pour sa génération.
Voici un extrait de cet entretien à retrouver en entier en kiosque, accompagné des souvenirs de Maïwenn, qui aurait aimé le voir incarner Louis XV dans Jeanne du Barry, ou de Norbert Saada, qui a produit notamment Monsieur Klein et Mort d'un pourri.
PREMIÈRE : Quel est le premier film de Delon que vous avez vu ?
BENOÎT MAGIMEL : Mélodie en sous-sol ou Le Clan des Siciliens. Je n’arrive pas à les dissocier : ils m’avaient tous les deux marqué par la puissance des histoires d’amitié qui étaient au cœur de leurs récits. Mais j’ai grandi avec Belmondo et Gabin, et j’ai découvert Delon tard. Je ne me suis vraiment intéressé à lui que lorsque j’ai commencé à devenir acteur. La majorité des films de Bébel était plus facilement accessible à l’enfant que j’étais. Je suis arrivé à Delon par une approche plus cinéphile. Au fil de mes découvertes, c’est un acteur que j’ai aimé pour ses contradictions entre son ultramasculinité et la fragilité perceptible dans son regard. Pour sa voix aussi, si charismatique, et la dignité qu’il y avait dans ses rôles. On avait envie de lui ressembler.
Peu de gens osent le dire, comme si sa beauté était inaccessible et qu’il serait presque prétentieux de vouloir y tendre…
Je crois que l’envie de ressembler à des acteurs magnifiques a toujours existé. C’est même ce qui fait qu’on les aime autant. Gabin chez Renoir dégage une beauté et un charisme renversants pour ne prendre qu’un seul exemple. La beauté de Delon t’accroche par sa rugosité et la mélancolie de son regard. Elle était à part. J’ai grandi dans les années 80 où la mode dans le cinéma français, à part Depardieu, était aux hommes fragiles dans des corps fragiles. Dans cet univers-là, Delon étonnait et détonnait. C’est sans doute pour ça que j’avais envie de lui ressembler, et que j’ai pu m’identifier à lui. Pourtant, je n’avais évidemment ni ce physique ni ce charisme. C’était, au fond, presque comme une figure de père.
Alors que Belmondo, lui, représenterait le grand frère ?
Exactement, mais ça vient de leurs origines. Belmondo dégageait quelque chose de dé- complexé parce qu’il avait grandi dans un monde d’artistes avec un père sculpteur, et qu’il avait suivi un parcours de comédien assez classique. Il avait les codes. Delon, lui, c’est un mec qui aurait pu devenir charcutier, qui a fait l’Indochine, donc côtoyé la mort ! Moi, j’avais envie de ressembler aux deux parce qu’ils étaient complémentaires. Mais Delon avait un truc en plus à mes yeux : il venait de nulle part et ça permettait de croire que tout était possible, même quand, comme moi, on était à des années-lumière de ce milieu. Il m’a fait comprendre qu’on pouvait réussir sans prendre de cours de théâtre, sans passer par la voie traditionnelle.
Vous avez revu ses films pour préparer certains de vos rôles ?
Ce qui m’a toujours frappé chez lui, c’est sa manière de jouer sans avoir besoin de dire des choses. Ses rôles de taiseux chez Melville m’ont particulièrement inspiré et aidé à comprendre des choses sur certains de mes personnages et la manière de les raconter. Et puis il y a une chose que j’ai eu envie de refaire une fois dans un film et qu’il fait souvent, justement chez Melville : sa façon si singulière de se retourner avant de quitter
un endroit, d’ouvrir la porte et de jeter un regard sur la pièce vide avant de partir ! À l’annonce de disparition, je me suis replongé dans sa filmo, il y a encore une dizaine de films que je n’ai pas vus. Et avec certains, comme Les Aventuriers, je me régale en découvrant d’autres facettes de lui. Évidemment, son enchaînement de chefs-d’œuvre dans les années 60 est dingue. Mais j’aime aussi le voir faire le zouave avec Ventura sur un bateau, et me bouleverser dans l’ultime scène – quand Ventura pose sa main sur son visage alors qu’il meurt.
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