On y croit. Le réalisateur est à Cannes aujourd’hui pour ressusciter L’homme qui tua Don Quichotte avec de nouveaux comédiens.
« Ma vie se résume à courir après l'argent, pas à faire des films, se lamentait Terry Gilliam en 2013, après avoir vu une énième fois le financement de son Don Quichotte s’écrouler. Voilà ce que je fais. Je ressens cela comme un accident : je cherche de l'argent pour financer mes projets, je prépare un casting, que je dois refaire en cours de route et j'essaie de faire en sorte que mes films ne soient pas carrément arrêtés pendant la production. Je passe tout mon temps à économiser jusqu'à ce que j'aie assez d'argent pour pouvoir travailler, puis c'est parti. »
Trois ans plus tard, le réalisateur est à Cannes pour annoncer le lancement officiel de L’Homme qui tua Don Quichotte. Une affiche teaser a même été imprimée pour préciser qu’il entrerait en tournage cet automne. Adam Driver et Michael Palin seront de la partie. Le « projet maudit » de Gilliam va-t-il enfin voir le jour ? En attendant ses révélations sur la Croisette, retour sur sa longue gestation.
1990 – 2001 De Cervantes à Lost in la Mancha
Terry Gilliam rêvait déjà d’adapter librement Don Quichotte dès le début des années 1990, et a fait appel à Tony Grisoni, son scénariste de Las Vegas Parano, Les Frères Grimm et Tideland pour travailler son concept. Malheureusement, dès le départ, les problèmes de financement commencent. D’abord annoncé en septembre 1999, le tournage de L’Homme qui tua Don Quichotte est repoussé à octobre 2000 avec d’autres producteurs, notamment le Français René Cleitman (Cyrano de Bergerac, Le Hussard sur le toit…), pour un budget de 30 millions de dollars. Il choisit Jean Rochefort pour incarner le justicier idéaliste et propose à Johnny Depp un rôle complètement inventé pour moderniser le roman médiéval : « Toby Grosini est un jeune réalisateur de pubs désabusé. Se rendant en Espagne pour un tournage, il rencontre un gitan qui lui offre une copie du film de fin d'études -une ré-imagination de l'histoire de Don Quichotte- que Toby avait réalisé dans la région il y a quelques années. Ému de cette redécouverte, Toby part à la recherche du petit village où il avait tourné ce film et se trouve mêlé à toute une suite de catastrophes. »
Les prises de vue de L’Homme qui tua Don Quichotte auront lieu près de Madrid et ne seront elles aussi qu’une suite de problèmes. D’argent, une fois encore, mais aussi de santé (Rochefort souffre de grosses douleurs dans le dos qui l’empêchent de monter à cheval), d’organisation (impossible d’enregistrer le son en direct à cause du bruit des avions, entre autres) ou de météo (des pluies diluviennes détruisent une partie du matériel de tournage, tout en transformant le paysage désertique en prairie verdoyante)…
Terry Gilliam finit par jeter l’éponge avant la fin du tournage. A l’aide des rushs, l’équipe livrera cependant un making-of, Lost in la Mancha, chronique captivante de cette expérience effectivement catastrophique.
2008 – 2012 : Premières résurrections avec Robert Duvall, Colin Farrell, Ewan McGregor…
Lost in la Mancha sort en DVD en 2002, mais Terry Gilliam n’a alors plus les droits du scénario de L’Homme qui tua Don Quichotte. Il mettra six ans à les récupérer et modifiera pour l'occasion l’histoire avec Grisoni, transformant le publicitaire en « jeune cinéaste frustré » et ajoutant une romance dans sa quête. Johnny Depp est toujours intéressé par le projet, mais plus Jean Rochefort. En 2009, Robert Duvall révèle qu’il a été choisi par Gilliam pour lui succéder. Un an plus tard, le réalisateur profite du festival de Cannes pour annoncer qu’Ewan McGregor jouera finalement Toby, après les départs successifs de Depp et Colin Farrell, qui venaient pourtant de tourner sous sa direction dans L’imaginarium du Docteur Parnassus. Son nouveau budget, débloqué par Jeremy Thomas, le producteur du Dernier Empereur, est estimé à 20 millions de dollars, soit 10 millions de moins que l’initial. Patatras ! En septembre 2010, Variety annonce que son financement s’est écroulé. Retour à la case départ pour Terry et son Don Quichotte.
2011-2012 : Nouveau départ, mais concurrence avec Johnny Depp
Fin 2011, Terry Gilliam semble hésiter entre relancer L’homme qui tua… ou s’investir dans l’adaptation de Mr Vertigo, de Paul Auster. Il annonce finalement que le premier entrera en tournage au printemps 2012, toujours avec Robert Duvall, mais sans Ewan McGregor, parti vers une autre aventure : Jack, le chasseur de géants, de Bryan Singer. Le nom d’Owen Wilson court pour le remplacer, jusqu’à ce que le cinéaste se trouve une autre priorité : Zero Theorem, projet qu’il avait mis de côté pour se consacrer à Parnassus. Il le tourne durant l’été 2012, juste avant que Johnny Depp soit annoncé à la tête… d’un autre Don Quichotte, produit par Disney et en partie par lui-même, via sa boîte Infinitum Nihil.
Cette adaptation reste mystérieuse, puisque quatre ans plus tard, Johnny Depp ne l’a toujours pas tournée. Poule aux œufs d’or de Disney grâce aux Pirates des Caraïbes et Alice au Pays des Merveilles, la star a-t-elle voulu se lancer dans ce projet pour pouvoir en offrir la réalisation à Terry Gilliam une fois l’accord avec le studio signé ? Ou Depp entrait-il en concurrence directe avec le metteur en scène ? L’idée a soulevé de nombreuses questions, qui restent sans réponses tant que le projet est au point mort…
2014 – 2015 John Hurt arrive mais se bat contre un cancer
En 2014, Zero Theorem sort au cinéma quelques mois après avoir été projeté à la Mostra de Venise. Terry peut donc se replonger dans Don Quichotte. En mai, John Hurt révèle qu’il vient d’obtenir le rôle-titre et en novembre, c’est Jack O’Connell qui signe pour celui de Toby. 21 millions de dollars doivent être réunis et le cinéaste est même prêt à lancer un crowdfunding pour récolter cette somme. Le financement reste cependant fragile, et le cancer du pancréas de John Hurt, découvert durant l’été suivant l’oblige à abandonner le projet, car il n’est plus assuré pour le film. Heureusement, il annoncera sa guérison en octobre, quelques semaines après l’énorme bourde de Variety. Le 9 septembre 2015, le célèbre site de cinéma publie la nécrologie de Terry Gilliam. L’artiste, sur le point de fêter ses 75 ans, était pourtant en pleine forme, et n’a cessé depuis de se moquer de leur erreur sur les réseaux sociaux.
2016 : Don Quichotte enfin relancé ?
On n’y croyait plus, mais depuis quelques semaines, le projet semble sur le point de devenir réalité. En janvier, Terry a partagé un dessin en se demandant si l’année 2016, qui marque les 400 ans de la mort de Miguel de Cervantes, allait porter chance à son projet. Quelques semaines plus tard, le producteur portugais Paulo Branco, habitué aux films d’auteur (Cosmopolis, de David Cronenberg, La Chambre bleue, de Mathieu Amalric…) a accepté d’épauler le réalisateur pour qu’il puisse enfin tourner « le film de sa vie ». La semaine dernière, ce sont deux nouveaux acteurs qui ont rejoint L’Homme qui tua Don Quichotte, au moment où il cherchait à nouveau des distributeurs au Marché du Film cannois. Adam Driver (Star Wars 7, Paterson, de Jim Jarmusch, en compétition sur la Croisette) sera Toby, et Michael Palin, l’un des complices de Gilliam au sein des Monty Python sera Don Quichotte. L’affiche-teaser assure que le tournage démarrera cet automne, et le cinéaste a fait le déplacement pour en parler à la presse. Sa conférence se tiendra à 15h, et Première sera évidemment sur place pour en savoir plus sur ce projet tant attendu.
Cannes 2016 : tout ce qu’il faut savoir sur le Don Quichotte de Terry Gilliam
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