Alors que The Twilight Zone version Jordan Peele est actuellement diffusée sur Canal +, Première fait le tri parmi les 156 épisodes de la série originelle (1959-1964), créée par Rod Serling, pour en extraire les 20 meilleurs. Apprêtez-vous à entrer dans une autre dimension, où s’est engouffrée toute la pop culture.
20 - LA PISCINE ENSORCELÉE (THE BEWITCHIN’ POOL, S05E36)
Maman est agacée, papa, très occupé, la maison, somptueuse et la piscine, immense. Alors, les enfants font des longueurs en attendant que les grands veuillent bien se calmer. Comment les deux petits ont bien pu découvrir qu’au fond du bassin se logeait une porte de sortie menant vers un Neverland tenu par une gentille mamie gâteaux? Et pourquoi le papa plonge-t-il les chercher avec cet air si paniqué? Derrière le pays des merveilles se cacherait-il un vrai drame domestique ? L’anthologie se conclut donc là-dessus, sur l’un des happy ends les plus tristes jamais imaginés. Après cet ultime coup d’éclat, La Quatrième Dimension se refermera à jamais.
19 - C’EST UNE BELLE VIE (IT’S A GOOD LIFE, S03E08)
Une petite bourgade américaine vit au rythme des caprices d’un enfant tyrannique, que personne n’ose contrarier... Un pur épisode atmosphérique, très dérangeant, sans véritable conclusion, et qui deviendra l’un des piliers de la « franchise » Twilight Zone : remaké façon cartoon par Joe Dante dans La Quatrième Dimension – Le Film, il aura également droit à une suite dans la reprise en couleur de la série, dans les années 2000. Et Rod Serling essaya carrément d’en tirer un long métrage, avant sa mort, en 1975. Mais, contrairement à Cauchemar à 20 000 pieds, autre gros classique de la série sixties que George Miller a sublimé en 1983, aucune variation n’a su reproduire le malaise diffus et poisseux que provoque toujours le It’s a good life originel.
18 - LES MASQUES (THE MASKS, S05E25)
Alors que le carnaval du Mardi gras bat son plein à la Nouvelle-Orléans, un vieillard mourant, mais toujours pugnace, ordonne à ses descendants ingrats et égoïstes, qui attendent de palper l’héritage, de porter des masques exprimant la laideur de leurs âmes corrompues... Il suffit de lire ce résumé pour deviner le twist, mais ce n’est pas très grave : cette fable jazzy réalisée par Ida Lupino frappe surtout par son extraordinaire atmosphère gothique, hargneuse et morbide. Grâce au génie du maquillage de William J. Tuttle (le make up artist en chef de La Quatrième Dimension), un épisode qui... colle à la peau.
17 - FUTUROGRAPHE (A MOST UNUSUAL CAMERA, S02E10)
Assez géniale lors de ses petits glissements vers l’humour noir, La Quatrième Dimension aura toujours eu beaucoup plus de mal à s’exprimer sur un versant purement comique (et ce, même quand elle invita Buster Keaton a slalomer entre le muet et le parlant dans le très moyen Il était une fois). Exception notable : cette fable où une bande de pieds nickelés découvre un proto-Polaroid dont les photos annoncent le futur et (avec un peu d’astuce) les résultats du tiercé. L’agenda des sports de Retour vers le futur 2 trouve sa source ici. L’humour burlesque, anar et tordu de Bob Zemeckis aussi.
16 - COMMENT SERVIR L’HOMME (TO SERVE MAN, S03E24)
Des aliens géants aux crânes hypertrophiés, emmenés par Richard "Jaws" Kiel, débarquent sur Terre et assurent la population terrestre qu’ils viennent en paix. Vraiment ? Difficile de parler de cet épisode sans évoquer sa fin légendaire (qui inspira notamment une super blague de Y a-t-il un flic pour sauver le Président?). On se contentera de constater qu’ici, c’est la secrétaire blonde qui trouve la clé de l’énigme, refusant le rôle de potiche que lui auraient alloué 99 % des séries B de l’époque, preuve que La Quatrième Dimension a toujours été cette série progressiste qui mettait régulièrement en vedette des Noirs, des femmes, des vieux, et autres damnés de la Terre. Le tout en prime time, s’il vous plaît.
15 - CONVERSATION AVEC L’AU-DELÀ (LONG DISTANCE CALL, S02E22)
Tout cet épisode est bâti pour converger vers un climax inoubliable. Il s’agit d’un bouleversant monologue adressé au téléphone par un fils à sa mère. Un truc simple, vraiment tout simple. À ceci près que le téléphone est un jouet. À ceci près que la mère est décédée. À ceci près que le fils vient de perdre son enfant. Et à ceci près qu’il suspecte sa mère d’avoir poussé son rejeton à quitter le monde des vivants et qu’il lui demande désormais de le lui rendre. C’est beau la télé quand c’est fait avec un tel souci de simplicité.
14 - SOLITUDE (WHERE IS EVERYBODY ?, S01E01)
Un homme erre dans un monde déserté et se demande où sont passés ses semblables. Est-il mort ? Fou ? À moins que quelqu’un ne soit en train de l’observer... La flippe méta- physique, la paranoïa, l’Amérique endormie, l’avenir-zombie de la société de consommation... Tout est déjà là, dans cet épisode pilote qui n’a pas seulement ouvert la porte à La Quatrième Dimension, mais aussi à toute la télé weirdo des soixante années suivantes, du Prisonnier à Twin Peaks. On n’en est jamais sortis.
13 - L’ŒIL DE L’ADMIRATEUR (EYE OF THE BEHOLDER, S02E06)
Exploit technique de premier plan, cet épisode se situant dans un centre de reconstruction faciale et où tous les visages des protagonistes sont escamotés par la mise en scène a été tellement parodié et hommagé qu’on n’est même pas obligés de l’avoir vu pour connaître son twist mémorable. Pas très grave : c’est surtout un conte expressionniste d’une modernité stupéfiante qui envoie Ken et Barbie au purgatoire des monstres et s’interroge sur les canons arbitraires de la beauté et le fascisme qui en dé- coule, entre deux coupures pub. La télé US a-t-elle été un jour plus subversive que ça ?
12 - FUTUROGRAPHE (A MOST UNUSUAL CAMERA, S02E10)
Deux astronautes décollent pour Mars et sont surpris de découvrir, à leur arrivée, que les habitants de la planète rouge sont identiques aux Terriens. « Tous les gens sont partout semblables », dit le titre de l’épisode, génialement polysémique... Le début de l’épisode est un brin longuet (les auteurs devaient parfois meubler pour respecter la durée imposée par le format du show) mais ces petits ratés sont vite excusés par la coda vertigineuse. Un épisode annonciateur de tout un pan de la SF hollywoodienne à venir. En premier lieu l’adaptation ciné de La Planète des singes coécrite huit ans plus tard par un certain... Rod Serling.
11 - L’ABRI (THE SHELTER, S03E03)
La radio est catégorique : l’apocalypse nucléaire, c’est pour maintenant. Tous aux abris. Très bien, mais comment faire lorsque tous vos voisins veulent s’incruster dans votre petit bunker personnel ? Encore meilleur que le très aimé Les Monstres de Maple Street, cette nouvelle fête des voisins qui vire au pugilat n’a au fond qu’un vrai défaut pour un épisode de la Twilight Zone : elle ne comporte aucun élément fantastique. Pour le reste, c’est peut-être l’incarnation la plus palpable de l’humanisme désabusé de Rod Serling et de son obsession eschatologique typiquement 60s.
10 - NEUVIÈME ÉTAGE (THE AFTER HOURS, S01E34)
Dans un grand magasin, une jeune femme, à la recherche d’un article très précis, est envoyée par un liftier au neuvième étage, où l’attendent une vendeuse très serviable et des mannequins très flippants... Un aller direct pour la Twilight Zone! Monument de suspense et d’angoisse écrit par Charles Beaumont (le George Harrison de La Quatrième Dimension, moins connu et prolifique que les stars Rod Serling et Richard Matheson, mais tout aussi génial), Neuvième Étage magnifie le principe du double twist : un premier coup de théâtre à mi-parcours, avant la coupure pub, et un deuxième à la fin, qui laisse (encore plus) bouche bée. Un chef-d’œuvre qui hante à jamais. Et la prestation over the top d’Agnes Moorehead achèvent d’en faire un classique absolu, et ce depuis sa première diffusion.
09 - PORTRAIT D’UNE JEUNE FILLE AMOUREUSE (NUMBER 12 LOOKS JUST LIKE YOU, S05E17)
À 18 ans c’est l’heure du choix : modèle A ou modèle B? Maman a choisi il y a long- temps un modèle A, grand et athlétique. Les copines ont plutôt opté pour le modèle B, plus pulpeux, qui fait désormais fureur chez les garçons du modèle 1, assez trapus. Et si la jeune effrontée refusait l’opération qui doit la transformer en modèle B ? L’État resterait-il les bras croisés face à cet être imparfait ? Le meilleur épisode de Black Mirror a été réalisé près de cinquante ans avant le premier épisode de Black Mirror.
08 - LES ENVAHISSEURS (THE INVADERS, S02E15)
Vingt minutes de mano a mano muet et sanglant entre une fermière épuisée et des aliens miniatures, le tout circonscrit à une vieille bicoque en ruine. C’est peut-être le programme le plus dépouillé jamais proposé par la série (le tout rehaussé par un twist final dont la maison a le secret) et une forme d’apothéose pour Matheson, dont l’écriture n’a jamais été aussi ciselée et visuelle. La musique glaçante de Jerry Goldsmith
07 - LES TROIS FANTÔMES (AND WHEN THE SKY WAS OPENED, S01E11)
Le genre d’épisode qui donne l’impression que la réalité est en train de se dissoudre sous vos yeux, lentement, inexorable- ment, comme des grains de sable s’écoulant dans un sablier. Trois astronautes, de retour sur Terre après une expédition spatiale qui les a vus disparaître des écrans radar pendant une poignée d’heures, vont chacun, tour à tour, avoir la sensation d’être rayés du monde, expulsés de leur propre existence... Un chef-d’œuvre sur le thème du trou noir existentiel, pré-Lost, pré-The Leftovers. Penser à demander un jour à Damon Lindelof son avis là-dessus.
06 - QUESTION DE TEMPS (TIME ENOUGH AT LAST, S01E08)
Un petit employé de banque binoclard, martyrisé par sa femme et son patron, rêve d’avoir un peu de temps pour s’adonner à son loisir favori : la lecture. Une grosse explosion nucléaire, qui atomise toute la population terrestre à part lui, va lui en donner l’occasion... Un épisode à la chute sarcastique inoubliable, qui entremêle deux des plus grosses obsessions de la Twilight Zone : le temps qui passe et la peur de la bombe. Accessoirement, il s’agit de l’épisode préféré du roi du twist, M. Night Shyamalan. Ce qui, si vous vous souvenez de la fin, est assez rigolo de la part de l’auteur de Glass et Incassable.
05 - QUESTION DE TEMPS (TIME ENOUGH AT LAST, S01E08)
Cette Quatrième Dimension, c’était forcé- ment, un peu, celle de nos rêves. Pendant cinq saisons, la série se sera souvent amusée à manipuler les frontières entre la réalité et les fantasmes et ne se sera autorisé qu’une seule fois l’inévitable « tout ceci n’était qu’un cauchemar » (dans le bien mal nommé La Poursuite du rêve, un chef-d’œuvre par ailleurs). L’idée bien connue du mirage est offerte ici dès le début de l’épisode, mais va se retrouver ensuite propulsée dans une boucle temporelle où se mêlent couloir de la mort, exécutions sommaires et condamnés hurlant. C’est Un jour sans fin avec un bourreau à la place de la marmotte et on prie pour se réveiller très vite.
04 - LES PRÉDICTIONS (NICK OF TIME, S02E07)
Il n’y a que deux types d’épisodes de La Quatrième Dimension, ceux qui embrassent la dimension fantastique du projet et ceux, plus rares, qui préfèrent flirter avec les lisières du rationnel, le début de nos psy- choses et les limites de notre santé mentale. Ceux-là font très peur. En haut de cette tendance trône Les Prédictions, où William Shatner engloutit sa petite monnaie dans un automate qui lui annonce son avenir à l’aide de petits tickets. À mesure qu’il devient accro à ses réponses, le capitaine Kirk se met à sombrer dans la paranoïa la plus violente. Et on jurerait que ça procure un plaisir dingue à la machine.
03 - UN MONDE À SOI (A WORLD OF HIS OWN, S01E36)
Un écrivain peut faire apparaître à sa guise les personnages nés dans son imagination. Sa femme râle un peu quand il s’agit d’une jolie blonde qui prépare de délicieux martinis... La première saison de la Twilight Zone s’achevait avec cette irrésistible comédie méta, qui, même si elle est signée Richard Matheson, s’apprécie comme le manifeste fondateur de Rod Serling : le créateur- showrunner de génie en profite pour apparaître pour la toute première fois dans un épisode (il n’intervenait jusqu’à présent qu’en voix off, et systématisera le procédé à partir de la saison 2). Le maître absolu de La Quatrième Dimension, le voici. À moins qu’il n’en soit que le jouet ?
02 - SOUVENIR D’ENFANCE (WALKING DISTANCE, S01E05)
Un homme d’affaires fifties, costard-cravate et front soucieux, s’arrête pour faire réparer sa voiture dans une station-service paumée au beau milieu des États-Unis. Il réalise que la petite ville de son enfance est à quelques centaines de mètres de là, et décide d’aller y faire un tour. Sur place, quand il tombe nez à nez avec lui-même, enfant, puis avec son papa et sa maman, il comprend qu’il n’a pas seulement voyagé dans l’espace... Un épisode uniquement porté par son sublime mood mélancolique, et qui fait le lien entre le mythe de Rip Van Winkle (l’une des histoires de voyage dans le temps fondatrices de l’imaginaire US) et Retour vers le futur. Où l’on comprend que l’on n’a pas forcément besoin d’une DeLorean pour ressusciter ses parents et ses souvenirs d’enfance : ils sont là, pas loin, au bout du chemin. « At a walking distance », comme on dit en VO.
1 - CINQ PERSONNAGES EN QUÊTE D’UNE SORTIE (FIVE CHARACTERS IN SEARCH OF AN EXIT, S03E14)
L’absurdité de la condition humaine résumée en 25 minutes et racontée depuis le fond d’un puits. Cinq amnésiques s’y débattent, tentent de percer le mystère de leur présence, sentent que leur temps est compté et, épuisés, finissent sagement par regarder vers les étoiles. La cloche a sonné, une vie vient de passer, à qui le tour ? Variation métaphysique sur le même thème que le terrifiant Neuvième Étage, un peu plus bas dans ce classement, cet épisode va bénéficier comme aucun autre du savoir-faire de Rod Serling, qui pousse ici son art du minimalisme et de l’existentialisme défait à leur plus haut degré – tout en se permettant, à travers son titre, un petit hommage snob à Pirandello. La télévision grand public envisagée comme un support purement artistique où l’on laisserait libre cours à sa seule sensibilité. Et à la fin, prière pour le spectateur de ramasser sa mâchoire au sol.
Que vaut la Quatrième Dimension de Jordan Peele ?
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